La partie submergée de l’iceberg

Date : 30 octobre 2019
| Chroniqueur.es : Danielle Desormeaux
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Au Québec, chaque année, environ une douzaine de femmes meurent aux mains de leur conjoint, de leur petit ami ou de leur ex-amoureux. La majorité des femmes et filles victimes de meurtres ont été tuées dans un contexte familial, et la moitié de celles-ci vivaient de la violence amoureuse.

Les relations amoureuses représentent un réel danger pour la santé et pour la sécurité de beaucoup de femmes. Pourquoi? Pourquoi le taux d’homicides conjugaux comprenant une victime féminine demeure de trois à quatre fois plus élevé que celui comprenant une victime masculine? Pourquoi tant de femmes sont tuées par ceux qui sont censés les aimer et les protéger?

Parce que ce sont des femmes?

Les grands titres relatant les crimes dits passionnels commis dans le contexte d’une relation amoureuse qui apparaissent avec une régularité troublante dans les médias nous laissent souvent perplexes. Comment expliquer qu’un homme apparemment tout à fait normal, fonctionnel et adapté socialement puisse en venir à poser un geste aussi effroyable? L’absence d’explication logique nous porte à croire que l’auteur du meurtre a été victime d’un accès de folie ou a perdu le contrôle suite à de graves fautes commises par la victime. En fait, les meurtres conjugaux rapportés par les médias ne représentent que la toute petite pointe de l’iceberg d’un phénomène beaucoup plus profond et répandu dans notre société et qui donne tout son sens à ces gestes d’une extrême violence.

Car, aucun amoureux ne tue sa femme, comme ça, du jour au lendemain, sous le coup de la colère ou de la folie. Cet amoureux ne perd pas le contrôle. Il le prend.

C’est dans l’intimité des foyers, à l’abri des regards, que se retrouve la partie submergée de l’iceberg, une réalité vécu par un nombre difficilement calculable de femmes qui ne feront jamais la une des journaux mais qui vivent un véritable calvaire quotidien.

Derrière chaque meurtre se cache une histoire d’amour. En effet, sans attachement, sans relation de confiance, aucune emprise psychologique n’est possible. Cette emprise, qui permet à certains partenaires amoureux de s’assurer la totale disponibilité de l’être aimé pour répondre à ses besoins, s’installe peu à peu dans la relation sous forme de manipulation, de contrôle et de dévalorisation. Ces violences, souvent subtiles, visent à déstabiliser et à miner l’autonomie, la confiance en soi et l’estime personnelle de celle qui en est victime. Avec le temps, la violence psychologique établit les bases de la domination et ouvre la porte à des formes de plus en plus intenses d’atteintes (verbales, sociales, financières, sexuelles et physiques) qui permettent à l’agresseur d’obtenir et de maintenir sa domination sur elle. Lorsqu’elle refuse, remet en question ou tente d’échapper à ce contrôle, par exemple en voulant mettre fin à la relation, la violence peut s’intensifier au point de mettre sa vie et celle de ses proches en danger.

Nous vivons encore dans un monde où les violences faites aux femmes sont des manifestations de pouvoir exercées par des hommes qui visent à les soumettre, à les contrôler ou à les utiliser. Si les femmes prennent de plus en plus de place dans la vie sociale et professionnelle, les rapports de domination des hommes envers les femmes continuent de faire des ravages au sein des couples et des familles.

Les inégalités de pouvoir qui existent entre les hommes et les femmes dans la société s’expriment dans la sphère privée, au sein de beaucoup de couples. Ce qui semble être un problème isolé, un conflit conjugal qui a dérapé, est en fait un problème qui découle directement des valeurs culturelles qui banalisent la discrimination et les inégalités entre les hommes et les femmes. En effet, tant que de nombreux hommes croiront qu’il est légitime de s’attendre à ce qu’une femme réponde à tous leurs besoins, attentes et désirs sans avoir à tenir compte des siens, et que beaucoup de femmes continueront de penser que leurs propres désirs et besoins ont moins d’importance que ceux des autres, la violence continuera d’être justifiable à leurs yeux.

En tant que société, tant que nous nions, banalisons, minimisons ou refusons de voir ces inégalités, nous contribuons à mettre la vie des femmes en danger.

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