Pourquoi s’attacher? (Monogame en série, épisode 2)

Date : 24 février 2014
| Chroniqueur.es : Evelyne Papillon
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Je me suis réveillée dans la chambre de monsieur végé-métal. On s’était bien accordés pour deux presque inconnus. Ça n’avait pas été jusqu’aux grandes vocalises, mais il n’y avait pas eu de fausses notes non plus.

Je l’avais agacé sur son affiche d’Ozzy Osbourne. «Quoi, tu encourages les gens qui mangent des chauves-souris?» Il m’avait ébouriffé les cheveux et le gag avait fini là. Estéban m’avait offert des céréales sans sel, ni sucre dans du lait de soya. C’était plutôt bon, je devais l’admettre. Puis il s’était mis à discourir sur sa vision de la liberté. Il trouvait très important de faire passer ses projets musicaux avant toute chose, car c’est ce qui donnait, tenez-vous bien, un véritable sens à sa vie, et rien ne lui semblait aussi «puissant».

Puis il en a rajouté sur le fait que l’homme et la femme n’étaient en réalité pas faits pour vivre ensemble. «Ils n’ont besoin que de brèves rencontres pour ouvrir leur conscience mutuelle et s’équilibrer dans leur énergie. Mais après, il faut savoir laisser partir l’autre vers de plus grands projets. Il n’y a rien comme la liberté, bébé.»

Je le trouvais très créatif pour me mettre à la porte. Je décidai de faire de même pour repartir la tête haute. «Ah, moi, c’est pareil, je me dis pourquoi s’attacher? On est des esclaves peut-être? Pas moi, en tout cas. Jamais je ne nettoierais ta soue à cochons par exemple. Ce n’est pas très feng-shui, d’ailleurs, fais gaffe.»

Il me fit une face qui valait 100$ et sembla soulagé de me voir rapatrier mes affaires. Deux becs sur les joues et j’étais partie mon kiki. Ayoye! Comment avais-je fait pour me retrouver avec un tel spécimen? Je sais, j’avais besoin de sentir que je plaisais. Et j’ai plu, une grosse soirée de temps. Pareil pour lui, au matin, il était devenu… une citrouille. Lui qui aime tant les végétaux!

Je n’ai pas à me sentir mal. Je n’en ai certainement pas fini avec les cucurbitacées. Aussi bien prendre l’expérience à la légère. Tout le monde s’est protégé, il n’y aura pas reproduction de l’énergumène, c’est l’essentiel.

J’ai écouté une impulsion. Après tout, la femme est un animal social. Je me distingue de la guenon par une certaine conscience de mon inconscience. Ainsi ai-je le pouvoir de culpabiliser et de me traiter de tarte au lieu de juste me dire que j’ai passé un bon moment.

J’ai la capacité de vivre des histoires d’amour en accéléré, ainsi je perds moins de temps. Il y a eu une sorte de coup de foudre, suivi d’un questionnement, contrecarré par une envie pressante de rapprochement et une réelle attirance physique, puis un réveil qui a confirmé les doutes initiaux et la relation s’est terminée au plus vite. La finale étant agrémentée d’une touche passive-agressive de ma part pour que mon orgueil soit sauf.

Parce que même si le gars ne m’intéressait pas vraiment, ça m’aurait plu de lui plaire un peu plus longtemps. Je ne sais pas, on aurait pu avoir une liaison, se voir de temps à autre et s’apporter un peu de piquant. Mais lui et ses notions de liberté m’ont tout de suite semblé louches. Comme un grand mur érigé pour s’isoler affectivement.

Et moi qui ai un impérieux besoin de m’accrocher à quelqu’un, de sentir qu’on pourrait bouleverser ma vie. Je pense que quand je suis amoureuse ou quand j’ai un bon amant, je deviens une meilleure personne. Plus empathique, détendue, ouverte, ricaneuse. Mais pour l’instant, je me sens nulle. Je ne sais plus si j’ai tant apprécié le contact avec le musicien. Cela me ramène à ma solitude, peut-être même que ça la multiplie par toutes les attentes que j’avais avant même de le rencontrer.

Il faut toujours que j’invente une histoire incroyable pour chaque gars un tant soit peu intéressant. La réalité est forcément décevante. Mais m’empêcher d’avoir de l’imagination, ce serait inhumain. Alors je prends mon tableau mental et j’efface le scénario où Estéban m’écrivait une superbe chanson, qui devenait un succès planétaire et me permettait de voyager dans le monde avec lui. Je sais, c’était totalement irréaliste. Il aurait pu juste m’écrire une chanson et je lui aurais sauté dans les bras. En fait, c’est faux, si sa chanson avait été moyenne ou qu’il s’était trompé de nom de fille dans le refrain, ça m’aurait calmée un peu.

Je veux tellement être avec quelqu’un que je suis aussi vite charmée que déçue. Au moins, j’admets plus tôt que ça ne convient pas. Peut-être que sous mes airs de fille perdue, il y a au contraire une guenon qui progresse, qui apprend à utiliser des outils pour s’enlever des poux du crâne, tiens. Hou-ba.

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