Le retour de Bossuet, partie 2

Date : 2 mars 2020
| Chroniqueur.es : Yannick Pivin
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Le trio s’était séparé après le repas, Maïtena était revenu à l’appartement avec Solomon et Carole avait profité du passage de son frère en ville pour retourner en famille cette fin de semaine.

Solomon se remit donc sans tarder sur ses reliques en cherchant dans quelle lettre il avait bien pu voir ce nom de Bossuet. En les feuilletant l’une après l’autre, il n’arriva pas à remettre la main dessus tout de suite. Mais il remarqua un nouveau détail sur ce paquet. Celui-ci était agencé comme un mille-feuille alternant méthodiquement vieux documents imprimés et lettres manuscrites. Même le petit herbier à la fin était pris entre deux anciennes publicités.

Solomon passa rapidement sur le premier papier qui était une page d’un vieux journal anglais, pour s’attarder sur la deuxième page. C’était une lettre d’un certain Édouard Saint Pierre pour une Rosalie dont le nom était partiellement effacé. « URT »: c’étaient les trois dernières lettres et les seules que l’on pouvait encore lire, car tout le haut de lettre avait été partiellement arraché. Le contenu de cette correspondance démontrait une relation amoureuse entre les deux, mais elle n’en était pas le sujet. En fait le plus intéressant était la forme du récit d’Édouard. Cela semblait être un journal de bord. Solomon sut à cet instant qu’il tenait entre ses mains le tout début d’un carnet d’expédition épistolaire.

Le début de la lettre mentionnait son arrivée à Montréal le 26 mai 1864 avec ses camarades de voyage et leur préparation pour se rendre à Sherbrooke. Cette lettre avait deux autres particularités. La première étant qu’à chaque mention du prénom Jacques, celui-ci était systématiquement entre guillemets. La seconde, encore plus curieuse, était que des phrases entières étaient écrites en innu.

Solomon s’empressa de les noter sur un carnet et alla voir Maïtena. Il frappa doucement à sa porte de chambre, mais pas de réponse. Il était dix heures du soir, peut être dormait-elle déjà, quand soudain il entendit crier dans le salon. Il se précipita et fut surpris de voir sa colocataire debout sur le canapé, menaçant un chat, armée d’un sac de chips.

— Dégage-moi ce félin maléfique de ma vue, ou je le pulvérise ! hurla-t-elle à Solomon
— Avec des chips ?

C’était Arnold, le chat errant du quartier, toutes portes ou fenêtres entrouvertes étaient pour lui un droit de loger. Maïtena avait une peur irrationnelle de ces félins. Solomon s’empressa de mettre l’invité indésirable dehors, recevant par la même un petit coup de griffe désapprobateur du minet éconduit.

— Je venais te voir pour que tu me traduises ces phrases en innu.
— C’est de l’inuktitut pour commencer !
— La première, signifie : « À notre arrivée à Sherbrooke, il nous faudra trouver la roue d’Hyatt ». La seconde est plus mystérieuse : « Le lit fourche et le prêtre s’en va ».
— Euh ! T’es sûre de tes traductions ?
— Sure et certaine je l’apprends depuis toute jeune et c’est vrai que ça ne veut pas dire grand-chose pour la deuxième.
— Ok, Merci !

Solomon reprit son carnet et repartit à sa chambre comme un voleur laissant Maïtena en plan avec ses chips.

À son bureau, il posa l’hypothèse qu’Édouard Saint Pierre était parti en expédition pour retrouver un certain Jacques qui aurait été vu pour la dernière fois à Sherbrooke. Mais, qu’il était important, aussi, de dissimuler certaines informations en inuktitut, dont la connaissance de cette écriture, était très peu répandu déjà à cette époque. Plusieurs questions demeuraient sans réponse comme l’origine de ce Saint Pierre, était-il un Canadien français, ou français ? Et cette Rosalie la destinatrice, elle se devait de comprendre ce qui était écrit. Et qui était ce Jacques pour qu’une poignée d’hommes se mettent à sa recherche ? Un fugitif, un bandit, un ami dans le trouble ?

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