Sophie et ses hommes (Saison I, Épisode 7) : Le vertige

Date : 19 avril 2021
| Chroniqueur.es : Sophie Parent
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Mon frère et moi, on a toujours été très différents et portés à se charrier. Lui, c’était un grand et costaud bout-en-train incroyablement insouciant, tandis que moi j’étais la grande sœur sage et responsable. Vous ne vous imaginez pas le nombre de fois où je lui ai sauvé la peau du cul, quand on était plus jeunes – et même plus vieux !

Lui, c’était un grand et costaud bout-en-train incroyablement insouciant, tandis que moi j’étais la grande sœur sage et responsable. Vous ne vous imaginez pas le nombre de fois où je lui ai sauvé la peau du cul, quand on était plus jeunes – et même plus vieux!

Pourtant, on était aussi très proches et ma chambre d’ado devenait par moments un lieu de confessions. Parfois, c’était sur des sujets plus sérieux, d’autres fois c’était pour me raconter le stratagème ingénieux par lequel il avait réussi à éviter que notre mère ne trouve son ziploc de pot, question de me faire lever les yeux au ciel bien comme il faut.

Je pense souvent à ces moments-là, depuis que la vie d’adulte nous a amenés à nous installer dans des villes éloignées. D’ailleurs, j’sais pas trop ce que je lui dirais sur ma vie, en ce moment.

Présentement, je date un anarchiste relationnel et j’essaye de trouver mon compte là-dedans. J’ai rencontré les autres personnes qu’il voit et il me tient informée de ce qui se passe. J’apprécie la transparence, mais je sens qu’il me manque quelque chose, comme son temps est plus limité.

De ce que je vis, c’t’un peu comme être dans The Matrix, la non-monogamie. J’ai l’impression que je viens de sortir de la matrice du couple, pour m’apercevoir qu’il existe un autre monde complètement différent, et dans lequel je n’ai pas encore les repères pour naviguer. C’est comme si je m’aperçois qu’il y a autant de façon de vivre les relations qu’il y a de personnes, et ça me donne un peu le vertige. Comme si je trouvais que les sentiments et les relations, c’était pas déjà assez compliqué sans ça !

D’ailleurs, j’ai essayé de retourner en date, avec mon nouveau statut, mais je le sens que je viens de tomber dans la catégorie des marginales, pour la plupart des gars. Il y a toujours les mêmes phrases qui reviennent : « Ça doit être parce qu’on t’a blessée », « C’est parce que t’as pas encore trouvé LE bon » ou encore « Moi, j’crois pas à ça, ces affaires-là ».

Puis, il y a ceux qui en font un fétiche, que j’sois en relation libre.

Ça c’est les pires.

En effet, ça m’attriste que mon mode relationnel ne soit pas perçu comme légitime, mais surtout, ce sont les attitudes sexistes et paternalistes qui viennent me chercher. Dans ma tête, ça hurle: Non, ce n’est pas parce qu’on m’a blessée ! Le concept du « bon », c’est d’la marde ! Même si tu crois pas à ça, j’existe pareil ! Non, j’suis pas intéressée à coucher avec tout le monde, juste parce que c’est ouvert!

Chez ma nouvelle fréquentation, je fulmine.

Lui, il est perplexe.

À force de discuter, on constate que même s’il a eu son lot de mésaventures, lui n’a jamais vécu ce paternalisme ou cette sexualisation. En fait, il me dit même que généralement, ses rencontres se passent plutôt bien. La seule différence est que lui date des femmes. Il fait suivre cette observation par:

« Donc, pourquoi tu ne dates pas les filles ? »

Et n’ai pas su répondre pourquoi.

Certes, la question m’a surprise, mais surtout, mon premier élan n’a pas été de dire que je n’étais pas attirée par les femmes, mais plutôt de repenser à des situations spécifiques où j’ai bel et bien été attirée par elles.

Le constat me trouble : Ça a toujours été « normal » et plus « facile » que je ne fréquente que des hommes, sans que jamais je ne me pose de questions.

À cet instant, je repense à l’une des fois où mon frère s’était sauvé d’une fouille de son sac contenant du weed par ma mère, en lui disant qu’il pensait être bisexuel. Elle avait laissé tomber les recherches pour lui communiquer son amour inconditionnel de mère, à la place. L’incident m’avait scandalisée quand il m’en a parlé, jusqu’à ce qu’il m’avoue que ce soit bel et bien un questionnement présent. Ça avait été un moment plus sérieux, de nos discussions dans ma chambre.

J’pense que je devrais appeler le p’tit frère, bientôt.

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