SOUTERRAIN

Date : 17 juin 2021
| Chroniqueur.es : Souley Keïta
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Une critique sans trop divulgâcher.

Haletant, passionnant à souhait, une fresque humaine à la belle justesse, une véritable ivresse cinématographique. Autant de superlatifs pour parler d’un film qui va indéniablement poser son empreinte et qui restera sans aucun détour, pour moi, l’un des films québécois les plus marquants de l’année. Pourtant rien n’a été simple pour un projet d’une telle envergure qui a débuté il y a dix ans. L’audace est encore plus belle notamment dans l’exploit de filmer dans une mine et de créer une histoire à la belle humanité. 

L’histoire d’une amitié, celle de Maxime, qui travaille dans une mine à Val-d’Or et de Julien, handicapé après un accident de voiture causé par ce premier. Une tragédie qui va en alimenter d’autres notamment auprès de Mario, père de Julien qui travaille également à la mine et qui n’a jamais pardonné à Maxime.  Auréolée du prix de meilleur scénario au Gala Québec Cinéma, Sophie Dupuis, à qui nous devons l’excellent Chien de garde, nous surprend une fois de plus avec une œuvre sombre. Mélangeant avec une harmonie, différents genres cinématographiques, ce film d’action dramatique et de suspense emmené par des performances de haut vol que celle de Joakim Robillard, Théodore Pellerin (récompensé également) ou James Hyndman, vous mettront implacablement dans la peau des miniers de Val-d’Or.

Entrée Libre a eu la joie de s’entretenir avec la talentueuse réalisatrice et scénariste Sophie Dupuis lors d’une belle rencontre :

Souley Keïta : Au festival Regard il y avait une discussion animée sur le cinéma de régions, est-ce que à la lumière de ce sujet, Souterrain avait cette nécessité de sortir des sentiers battus et qu’il était vital de tourner à Val-D’Or ?

Sophie Dupuis : Absolument! Pour moi, ce n’était même pas une question en fait. Cela est sûr qu’à un moment donné, la production et moi-même nous nous sommes demandé comment faire pour sauver des sous, parce que cela coûte très cher de faire venir une équipe en région, mais non seulement on voulait tourner dans une vraie ville minière, mais également, avoir le vrai feeling de région. Ces éléments ont servi beaucoup le film, car les acteurs ont pu côtoyer les gens de la région, sentir l’énergie du lieu donc pour ma part, c’était vraiment important que ce soit en région.

Souley Keïta : « Ça va bien icitte, ça va bien là-dedans. », résume à merveille ton film. Est-ce que malheureusement nous sommes dans un univers où la communication se terre dans le silence ?

Sophie Dupuis : C’est sûr que souvent les hommes de région et d’un peu partout en fait ont parfois une vision de la masculinité où un gars se doit d’être fort, se doit de ne pas être trop bouleversé par ses propres émotions et, qu’ils ne soient pas portés à parler autour de lui. Dans le film, ce que je voulais mettre en lumière, c’est que si malheureusement on n’a pas la tête et le cœur à descendre dans la mine, on peut être un danger pour les autres parce qu’on manque de vigilance pour travailler sur de grosses machines qui peuvent être dangereuses pour les gens qui nous entourent. Dans les mines, ce que j’ai vu c’est non seulement la fraternité entre ces gars, mais également cet intérêt à ce que tout le monde aille bien autant pour la sécurité de chacun, mais aussi par compassion. Il est vrai que cette phrase résonne bien avec le film. 

Souley Keïta : J’aimerais revenir sur le titre Souterrain qui évoque de nombreuses significations dont une en particulier, notamment de pousser le spectateur à creuser de plus en plus dans l’histoire de tes personnages? 

Sophie Dupuis : Pour moi, le choix du titre de Souterrain, qui ramène d’ailleurs à la question précédente que tu avais posée, c’est le fait que dans chacun de ces hommes il y a des émotions cachées et le film nous donne accès à cela. Je vois ces émotions comme quelque chose qui va remonter au grand jour. C’était vraiment le but du titre, mettre la lumière sur un univers, des émotions cachées dans le souterrain de ces hommes.

Souley Keïta : Le cinéma est une indiscrétion, à travers ton langage cinématographique et certains plans de dos, était-ce important de faire glisser les spectateurs dans Max, Julien ou Mario ?

Sophie Dupuis : Oui, c’était vraiment une façon intuitive de tourner que j’ai, que de suivre mes acteurs de dos, et puis je trouve que cela montre toute la pression qu’ils se mettent sur leurs épaules. J’ai toujours trouvé cela très fort comme façon de filmer. Par ailleurs, je ne découpe pas beaucoup au niveau des plans, car j’aime cela laisser rouler mes acteurs lorsqu’ils font leurs scènes puis avec mon équipe technique nous les suivons. Nous trouvons le moyen de faire chorégraphier la caméra autour des acteurs puis souvent, cela crée ces plans de dos qui se placent un peu par eux-mêmes. J’aime bien être sujette aux surprises sur le plateau notamment lorsque l’on voit un beau plan qui délivre une telle puissance. Parfois cela est pensé, parfois cela est intuitif, parfois cela est une surprise.

Souley Keïta : Je voulais revenir sur ton personnage Maxime interprété avec brio par Joakim Robillard. Est-ce qu’à l’image du travail dans une mine, Maxime représente ces choses cachées que l’on découvre, ce bâton de dynamite qui explose tout ce qui l’entoure ?

Sophie Dupuis : Je voulais sentir Max poussé au bout de la responsabilisation face à Julien, face à Mario, face à sa blonde. J’avais envie de l’envoyer dans des extrêmes pour qu’il y ait une évolution chez mon personnage. Je l’ai pas mal maroité (rires). Oui, il est vrai que c’est un peu une métaphore qui correspond à tout ce qui lui arrive dans la vie. 

Le film québécois de l’année est à retrouver présentement dans les salles obscures de La Maison du Cinéma.

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