Spécialistes et généralistes en politique

Date : 20 septembre 2017
| Chroniqueur.es : William Champigny-Fortier
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Un dogme tenace et pernicieux qui resurgit à chaque élection est l’idée qu’il faudrait à tout prix plus de spécialistes avec de l’expérience en politique. La représentation des experts et des expertes comme le comble de l’homme ou de la femme d’État est un lieu commun. Pourtant, ce dogme de la spécialisation est fort critiquable et il est aisé d’imaginer une valeur antagoniste pour remplacer celle-ci. Cette valeur, c’est la polyvalence. Mais avant d’argumenter en faveur d’une culture de la polyvalence, il faut commencer par passer au crible l’idéologie élitiste de la spécialisation.

Car, il faut le dire, la formation en silo qui est malheureusement la spécialité des universités produit de l’expertise, mais très peu de polyvalence. Dans quelques rares cas, des universitaires se bricolent un trajet d’études qui réunit les conditions nécessaires au développement de cette faculté fort importante, mais d’ordinaire ces cas restent trop souvent marginaux. Or, ce système d’éducation a pour conséquence de produire une masse tout à fait imposante de connaissances portant sur des enjeux précis, mais le phénomène de fragmentation ou d’éparpillement de ces mêmes connaissances est évident et pose problème.

La polyvalence a l’avantage de permettre à divers savoirs de se lier entre elles ce qui représente un avantage incontestable dans une époque où des enjeux comme le réchauffement climatique concernent une multitude de domaines différents. En effet, l’interconnexion de plusieurs problématiques est un argument majeur pour le développement d’une culture de la polyvalence en politique. Les problèmes sociaux ont toujours de multiples facettes et c’est bien cela qu’il faut comprendre. La multidisciplinarité est une clé qui nous permettrait d’affronter collectivement les défis complexes qui s’offrent à nous tous et toutes.

Les spécialistes ne sont pas à bannir de la politique, loin de là. Au contraire, il est nécessaire que ceux et celles qui ont une expertise dans un domaine utilisent leur expérience pour le bien de la communauté. D’ailleurs, une culture de la polyvalence encouragerait précisément le dialogue entre ces spécialistes, mais ferait aussi une plus grande place aux personnes qui, sans être des experts ou des expertes d’un domaine, sont branchées sur plusieurs domaines de connaissances. Autrement dit, contre une culture qui encourage une accumulation verticale, ou en silo, des savoirs, il serait bien de réfléchir aux moyens nécessaires afin de concrétiser une culture plus horizontale où s’enchaineraient des connaissances provenant du plus grand nombre de domaines possible.

En fin de compte, c’est peut-être la formation universitaire elle-même qu’il faudrait modifier. Ainsi, il s’avèrerait judicieux de reconsidérer le cheminement linéaire baccalauréat-maitrise-doctorat afin de prendre en compte la multidisciplinarité horizontale. Par ailleurs, une autre avancée qui pourrait être faite dans le sens d’une culture de la polyvalence serait de mettre en place de véritables structures de démocratie participative permettant aux citoyennes et aux citoyens de tous les milieux de participer au processus politique. Actuellement, les structures rigides de la démocratie représentative font en sorte qu’une minorité d’experts et d’expertes peut conserver entre ses mains un pouvoir immense sur la gouverne des affaires communes de la collectivité. Ce n’est qu’en produisant d’autres types d’intellectuels et d’intellectuelles plus généralistes que spécialistes qu’il sera possible de nuancer la culture des experts et des expertes et d’avancer, de fait, vers une forme de démocratie plus participative.

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