Sympathie pour le diable

Date : 2 décembre 2019
| Chroniqueur.es : Souley Keïta
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Une critique, sans divulgâcher.

Le fardeau, la purge, le fléau, autant de sales noms pour ces sales guerres qui mettent à mal et, surtout, à sang des peuples.

Un premier long-métrage mené avec brio.

Guillaume de Fontenay nous amène à traverser, avec de fortes émotions, l’une des dernières guerres du XXe siècle qui a meurtri une Europe qui ne regarde plus les promesses du passé, notamment celle de ne plus voir de génocides frapper notre terre après la Shoah. Pourtant les années 90 sont récipiendaires de deux terribles génocides, celui qui toucha le Rwanda et celui qui frappa l’ex-Yougoslavie.

Le film de Guillaume de Fontenay prend pour essence le livre éponyme, du chevronné reporter Paul Marchand qui a couvert le siège de Sarajevo.

Est-ce que l’on ressort des horreurs perpétrées par l’Homme ?

Paul Marchand a vu, pendant un an et demi, les portes de l’Enfer s’ouvrir dans cette ville aux multiples ethnies. La caméra et les plans très vivants de Guillaume de Fontenay nous font revivre avec une justesse et un dynamisme l’un des sièges les plus meurtriers. Nous vivons, en tant que spectateurs, l’incertitude dans laquelle sont plongés de nombreux civils, celui de ne pas savoir si demain sera une option vécue et les drames qu’ils endurent chaque jour. Nous n’oublierons pas le courage qui pousse ces reporters, au péril de leur vie, à parler du calvaire des populations en temps de guerre. Ce film honnête a pour caractéristique importante à mes yeux d’avoir été tourné essentiellement à Sarajevo et dans les différents lieux de ce long siège.

Brillant, bouleversant, choquant, ce long-métrage vous amènera à découvrir un récit peu exploité dans le cinéma et qui est porté par des acteurs surprenants notamment Niels Schneider (Diamant Noir d’Arthur Harari, Les Amours imaginaires de Xavier Dolan, Un Amour impossible de Catherine Corsini…), dans le rôle d’un Paul Marchand au double visage, froid et chaleureux. Ella Rumpf (Grave de Julie Ducournau, Les Conquérantes de Petra Volpe…) dans le rôle de Boba, journaliste serbe qui a lutté pour sa ville de naissance. Sans oublier Vincent Rottiers (Dheepan de Jacques Audiard, La Marche de Nabil Ben Yadir, L’écume des jours de Michel Gondry…) en photographe de guerre.

Entrée Libre a pu s’entretenir au téléphone avec Guillaume de Fontenay, dont le premier long-métrage va susciter de nombreuses questions et discussions sur cette terrible guerre qui a meurtri l’Europe.

Souley Keïta : Paul Marchand, interprété avec brio par Niels Schneider, apparaît au début comme un personnage impassible, froid et distant pourtant il y a le diptyque de la baignoire qui montre un personnage fragilisé, est-ce qu’on peut le voir comme une carapace fissurée?

Guillaume de Fontenay : Il y a trois moments dans le film où l’on montre cette fragilité, le diptyque de la baignoire et la scène où il n’a plus rien, il est devant Boba et il fume son cigare après tout ce qu’il s’est passé. Trois moments clés où le personnage de Paul Marchand est sans carapace. Niels a fait un travail extraordinaire. C’est un jeune homme qui a cette carapace et cette fissure par rapport à son passé. Je voulais que l’on sente rapidement chez Paul, au-delà de sa carapace et de son masque, qu’il y a derrière tout cela, un écorché vif.  Par rapport à cela, il nous trouve, vingt ans plus tard, en mettant fin à ses jours. C’était l’une des intelligences les plus vives que j’ai rencontré et un formidable écrivain.  Paul Marchand a écrit une phrase très forte qui clôture le film, « ce rêve d’un monde meilleur, même si le rêve est obscène et turbulent. » Tout le monologue, fort, puissant, écrit par Paul dans son livre renvoie à ces terribles odeurs de sang et de soufre qu’il a vécu avec les habitants de Sarajevo. Le tournage à Sarajevo nous a amenés à côtoyer une formidable équipe principalement bosniaque issue de cette ville et dont certaines personnes étaient présentes il y a trente ans, durant la guerre.

Souley Keïta : Le titre Sympathie pour le diable (celui qui désunit), est-ce que dans le diable, en pourrait y voir, en Paul Marchand, cette division par rapport à l’horreur, car dans le film, c’est un personnage double, distant, mais également empathique ?

Guillaume de Fontenay : Je ne sais pas si c’est le diable, je trouve votre analyse sur Paul intéressante. Paul est un personnage abrasif au départ et il se protège comme ça notamment avec l’image qu’il dégage et sa verve. Puis finalement ce conflit va avoir un impact énorme et cela jusqu’au jour où il mettra fin à sa vie. Ce conflit lui est rentré dans le corps littéralement. D’ailleurs, il l’a écrit et on peut le lire dans le livre Sympathie pour le diable.  

Par rapport au titre, si cela avait été moi, j’aurais aimé nommer ce film « Ciao, brother ! ». Pour saluer Paul d’une part, et d’autre part, je trouve beau cette façon qu’il avait de saluer ces interlocuteurs. Il a fait huit années au Liban, un an et demi à Sarajevo et je crois qu’il était très sensible à cette idée que nous sommes frères et sœurs. Cela aurait été une belle façon de souligner ce côté-là. Par fidélité à son livre, Sympathie pour le diable, j’ai conservé le titre. Il disait que ce titre était ambigu, qu’à la boutade, cela venait aussi des Rolling Stones et que sous la protection des Stones, rien ne pouvait arriver. Il disait aussi que partout à Sarajevo, de nombreux murs étaient tagués de l’inscription : « Welcome to hell !».

Paul Marchand avait une sympathie pour la guerre, pas par amour de la barbarie ou de la cruauté des humains, mais par amour pour les terriens. Par-là, il entendait que dans la guerre, l’Homme se révèle complètement, nous savons si nous avons en face de nous quelqu’un qui est lâche ou courageux, la guerre est un révélateur de l’humain. Il voyait en cela un lieu très excitant, car tout à coup, tout devient vivant (relations, etc.).  

Souley Keïta : Est-ce que le regard de Paul Marchand sur cette communauté internationale attentiste n’est pas le reflet d’une société qui a simplement perdu toute empathie et se tourne très vite vers autre chose ?

Guillaume de Fontenay : Oui, absolument ! C’est pour cela que j’ai voulu faire une narration presque immersive dans son traitement et parce que je me suis dit qu’il ne fallait pas palabrer, car cela a plus ou moins un impact. Ma volonté était de faire vivre au spectateur, avec ce type de réalisation (caméra, montage, etc.), quelque chose de très vivant pendant 1h40 et justement en ayant fait de nombreux festivals et avant-premières, les spectateurs sont bouleversés et très émus. Ce film permet de relayer le cri du cœur de Paul, de créer un électrochoc par rapport à notre apathie et amène à se rendre compte que nous sommes tous coupables de cela.

Je voulais aussi rappeler que le métier de journaliste est extrêmement important, car ils risquent leur vie. Il y a des journalistes, en ce moment, à travers le monde, qui risquent leur vie pour témoigner et tentent de dire des choses. Il faut en parler. Les grands mouvements que nous voyons partout dans nos sociétés s’insurgent contre la corruption, contre cette injustice patente et je crois qu’il faut se réveiller. Nos états devraient investir dans l’information, parce que nous sommes dans une époque charnière, nos démocraties sont en péril et nous devrions nous assurer d’avoir de l’information. La mémoire est importante et c’est une des discussions que j’avais eu avec Paul. Pourquoi l’image du violoniste de Sarajevo est une image marquante ? Pour moi, c’est comme l’orchestre sur le Titanic qui coule et la musique qui continue, c’est la résilience, le courage et nous nous en souvenons, je vois cela dans le métier de journaliste. Tous ces gens qui nous désunissent, qui nous divisent, qui ont de discours extrémistes, ségrégationnistes, il faut absolument lutter contre cela avec véhémence. N’oublions pas que les premières victimes des guerres ce sont toujours des civils.

 

Sympathie pour le diable est sorti ce vendredi 29 novembre, je vous encourage à le voir à La Maison du Cinéma et surtout à en parler entre vous.

 

 

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