Un médecin indigné

Date : 8 avril 2012
| Chroniqueur.es : Éric Chiasson
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Je suis Éric Chiasson, médecin psychiatre, et je joins ma voix à celle des indignés.

Le mouvement Occupy ne fait certainement pas l’unanimité. Si c’était le cas et que tout le monde sortait de chez lui et ne rentrait plus, vous pouvez imaginer les conséquences sur notre système. Je ne suis pas sorti dans la rue, du moins pas encore. Ma position est délicate : j’ai des patients à soigner et je ne voudrais pas mettre ma famille en difficulté. Toutefois, ce n’est pas parce que je ne suis pas encore sorti que je suis contre ce mouvement. J’irais même jusqu’à avancer qu’une partie de moi se dit que la chose éthique à faire pour moi, mes proches et mes patients, serait de me joindre à eux.

Comme le souligne Dr Willy Apollon dans ses conférences « Psychanalyse et Mondialisation : Autrement, c’est quoi ?… » : pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, tous les êtres humains sont confrontés au même problème, au même moment. Vous voyez bien que lorsqu’un mouvement se propage aussi rapidement dans tous les pays du monde, il ne s’agit pas d’un simple problème québécois, américain ou égyptien ! Il s’agit d’un problème mondial. Posé comme ça, vous voyez tout de suite la difficulté pour les différents pays : si le problème qu’a entraîné la mondialisation concerne tous les humains en même temps, comment les pays feront-ils pour le gérer ? Inévitablement, un jour, la solution concernera tout le monde, mais pour le moment, chaque pays va tenter de gérer ce qui est en train de se passer chacun de son côté et, pour y arriver, ils n’auront pas d’autre choix que de tenter de nous couper du reste du monde. La solution temporaire au problème passera par une vielle solution qui est celle de la censure. Les autorités ont perdu le contrôle de l’information et le mouvement Occupons en est le plus récent exemple : un groupe a proposé de manifester, et en très peu de temps, l’idée a fait le tour de la planète. Il s’agit là d’un réel problème pour les autorités.

Les jeunes de 15 à 35 ans, qui ont grandi dans la mondialisation, ne sont pas étonnés par ce que j’écris ici. Avec la coprésence des cultures différentes, les valeurs sont progressivement tombées. Elles sont tombées parce qu’on a vite fait de réaliser que ce qui était interdit dans un pays ne l’était pas dans l’autre et vice versa. Puis dans chaque culture, au bout d’un certain temps, les institutions qui véhiculaient et soutenaient les valeurs ont manqué d’arguments. Les jeunes de ma génération et de celles qui ont suivi sont des gens qui ont grandi dans un univers où les valeurs n’étaient plus crédibles. Si le mouvement gagne en popularité, ce n’est pas simplement parce qu’il rassemble des gens autour de revendications ou de dénonciations communes. S’il y a tant de gens qui s’y joignent, c’est qu’il y a à l’intérieur de ce mouvement l’espoir d’une société crédible pour tous. De fait, les indignés ne peuvent pas être considérés comme des antisociaux.

Ce sont des gens qui veulent une société. C’est un mouvement qui veut redéfinir les conditions de vie de l’humanité en ne laissant personne pour compte. Ces gens veulent des valeurs et ils veulent des raisons pour y adhérer et les transmettre. Ils veulent redéfinir ce qui est acceptable et ce qui est inacceptable. Ils veulent la justice et l’égalité. Il n’y a aucune violence dans le mouvement Occupy. La violence vient du système, et uniquement du système.

Ce que nous devons voir, d’ailleurs, c’est qu’il n’existe plus personne qui a l’autorité pour nous faire marcher dans ce système. Aucun pays et aucun gouvernement n’a trouvé les mots pour convaincre les 99% qu’ils devaient rentrer chez eux. Les sociétés fonctionnent avec des discours. Nous vivons dans un village planétaire qui n’a pas de discours valable pour tous. Ils devront en inventer un. D’ici là, ce sera une histoire de censure, de répression et de contestation. Je prends le risque de choisir mon camp et de le dire tout haut. Je le fais pour mon fils, pour mes proches et pour mes patients. Il n’est pas simple pour le psychiatre que je suis d’aider des gens à fonctionner dans un système malade.

J’espère que cette lettre n’aura pas été écrite en vain et que d’autres s’acquitteront de leur droit de parole et de leur devoir envers les générations futures.

Ceci est version abrégée d’une lettre publiée sur RueFrontenac.com

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