Une meilleure version de lui-même (7 de 8) | On prend toujours un train

Date : 22 octobre 2013
| Chroniqueur.es : Evelyne Papillon
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Ça y est, j’arrête de faire l’autruche. D’ailleurs, c’est une belle image parce qu’une autruche, ça peut difficilement prendre son envol. J’ai eu plein de signes que je n’ai pas écoutés. Je ne peux pas passer ma vie à espérer que Vincent change.

C’est tellement plus facile de se dire qu’on a quelqu’un qu’on aime et qui nous aime que d’admettre qu’on est en train de forcer les choses. L’idée d’affronter la vie en solo, mais selon ses valeurs, est à la fois effrayante et stimulante. Tirer chacun la couverte de son bord, pardonnez le terme scientifique, mais ça gosse, et trop d’eau dans le vin, c’est dégueulasse.

J’aurais tellement voulu que Vincent et moi soyons plus complices. Et en plus de nos divergences majeures, il y a le problème des jeux vidéo, cerise sur le sundae. Quand je réalise le temps qu’il passe là-dessus, même chez moi… La vie, ce sablier qu’on ne peut jamais retourner, a tant d’autres merveilles à offrir, il me semble. Vincent me trouve intense avec ça. Il dit que c’est un jeu intelligent, stratégique. Je constate surtout que c’est une belle stratégie pour me laisser seule avec la vaisselle qu’on a salie ensemble.

Mais ce qui me fait encore plus suer, c’est quand il tarde à venir se coucher. Le précieux moment où on se retrouve enfin, où les chairs communient à défaut que les esprits aient pu le faire à mon goût, est gâché. Les draps froids, je connais. Je me suis endurcie, même. Il ne le sait pas, mais à force d’être présent de façon homéopathique dans ma vie, il m’a entraînée à me passer de lui.

Je prendrai le courage nécessaire en pensant à celle que je suis devenue. Cette mégère qui veut tout contrôler, ce n’est pas moi. C’est le résultat d’une mauvaise combinaison relationnelle. Vincent peut bien vivre un amour inconditionnel avec son ordi, détester la lecture et s’endormir devant les films de répertoire. Il a tous les droits. Et moi, j’ai celui de partir. Car sa liberté s’arrête où la mienne commence.

Je l’ai invité à marcher autour du Lac des Nations. Il fait beau… et j’aurai besoin d’air après LA discussion. Aussi sûre de ma décision que je sois, cela reste un moment désagréable à passer. Lorsqu’il passe me chercher, je l’embrasse sans entrain. Je n’ai pas prévu d’adieux torrides comme dans les films.

Mon seul désir, c’est d’en finir avec cette histoire. On se fait prendre à projeter nos rêves sur un partenaire, à lui accoler l’étiquette du «bon», jusqu’à ce que la réalité nous rattrape : il y a erreur sur la personne. Ce n’est pas monsieur Moutarde avec le chandelier dans la cuisine qui m’a tuée, c’est Vincent avec son ordi et son manque d’enthousiasme dans le salon. Non, j’exagère, c’est moi-même avec mon idéalisme partout.

On marche sans se tenir la main. Il commence à me sentir nerveuse. D’habitude, regarder le lac me calme. Mais là, je m’apprête à faire de la peine à quelqu’un qui ne m’a rien fait de mal. Il faut que je sois égoïste sur ce coup-là, c’est la seule façon de m’en sortir, penser à mes fesses d’abord.

On s’assoit sur un banc et je pleure, parle, renifle, reparle et repleure. C’est moche et limite incompréhensible, mais c’est tout ce que je parviens à sortir. «Ce n’est pas toi, mais il manque quelque chose. On est juste trop différents. Et ça ne changera pas. Y a de l’amour, mais ça ne suffit plus.»

Vincent n’essaie pas de me faire changer d’idée. Il dit qu’il avait senti quelque chose, mais qu’il ne pouvait rien faire. Simple de même. Un peu fâché, mais pas intéressé à discuter, il part récupérer son ordinateur chez moi (son précieux). Il déposera la clé dans la boîte aux lettres. Le gars ne s’éternise pas. Monsieur binaire jusqu’au bout : nous sommes ou ne sommes pas ensemble, point.

Je n’ai rien eu à expliquer. Pas de psychologie, pas de pourquoi du comment. C’était la dernière fois que nous nous parlions. C’est étrange. Je tremble un peu, mais je l’ai fait ! En passant près du marché de la gare, je m’imagine entendre «On prend toujours un train», soufflé par un Josélito claquant des doigts sur un fond trop blanc.

Puis je regarde les canards, qui semblent me faire des clins d’œil. «Ça va bien aller, fille, le pire est fait. On ferait bien un feu d’artifice pour célébrer cette page qui vient d’être tournée, mais on haït ça, les feux. Notre eau sent le petit canard à la patte cassée après.» Quand tu fais parler des canards dans ta tête, c’est que tu t’en sors pas si pire.

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