Nous avons beau être en pleine campagne électorale, j’ai envie de profiter de cette période active au niveau politique pour prendre un pas de recul et réfléchir à la période à laquelle nous vivons. Cette réflexion s’inspire des analyses proposées récemment par Jonathan Durand Folco sur son espace de réflexion Métapolitiques, où il avance une idée forte pour décrire notre époque : celle du Grand démantèlement.
En 2011, le mouvement Occupy Wall Street lançait son fameux mot d’ordre : « Nous sommes le 99 % ». Ce slogan, à la fois simple et percutant, traduisait un sentiment d’injustice généralisée face à un système où une infime minorité s’enrichit au détriment de tous les autres. Plus qu’un cri de colère, il ouvrait un espace d’imaginaire collectif : celui d’une démocratie à réinventer.
Quatorze ans plus tard, le diagnostic n’a pas changé : le 1 % (ou peut-être plutôt le 0,01 % continue de dicter les règles du jeu. Mais le décor s’est assombri. Crise du logement, explosion du cout de la vie, privatisation rampante des services publics, dérives autoritaires : tout concourt à un sentiment d’effritement généralisé. Pendant que certains milliardaires rêvent d’échapper à la planète en fusée, nos écoles, nos hôpitaux et nos institutions s’effondrent.
Nommer le Grand Démantèlement, c’est déjà commencer à y résister
C’est précisément ce processus que Jonathan Durand Folco nomme le Grand démantèlement. Ce n’est pas une fatalité ni une série d’évènements isolés, mais bien un projet politique de long terme mené par une élite économique et politique qui détruit méthodiquement ce que le Québec et d’autres sociétés avaient su bâtir : un modèle social fondé sur la solidarité, la justice et les services publics.
Le Grand démantèlement, c’est la pressurisation du réseau de la santé, les coupures en éducation, la détérioration du filet social, la dérèglementation environnementale et la concentration du pouvoir politique entre quelques mains. C’est aussi le discours creux de la « rigueur » qui masque une logique brutale : faire payer la majorité pour préserver les privilèges de quelques-uns.
En face, la droite identitaire avance un autre grand récit : celui du Grand remplacement, qui transforme la peur économique en peur de l’Autre. Ce récit est redoutablement efficace, car il simplifie tout : nos problèmes viendraient des immigrants, des minorités, de la gauche « woke » et antifasciste. Or, cette diversion sert surtout à détourner l’attention du vrai coupable : le pouvoir oligarchique qui démantèle nos acquis collectifs.
Pour contrer cette dérive, il nous faut un contrerécit populaire, capable de rallier au lieu de diviser. Le Grand Démantèlement peut jouer ce rôle : il parle à la fois à la raison et à l’émotion, à la colère de voir nos institutions s’effondrer, à la peur de perdre ce qui nous appartient, mais aussi à l’espoir de reconstruire ensemble.
Nommer le Grand Démantèlement, c’est déjà commencer à y résister. Mais il faudra aller plus loin : imaginer une Grande Reconstruction. Reconstruire nos services publics par un financement juste et stable. Reconstruire nos droits sociaux et syndicaux. Reconstruire nos écosystèmes et notre démocratie.
L’histoire du Québec regorge de moments où le peuple s’est levé : la Révolution tranquille, la marche du Pain et des Roses, le Printemps érable. Ces élans de solidarité ont façonné notre modèle social. Aujourd’hui encore, il nous appartient de transformer l’indignation en mouvement.



