Guibord s’en va-t-en guerre

Date : 8 octobre 2015
| Chroniqueur.es : Jean-Benoît Baron
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Il y a de ces réalisateurs qui sont ouverts sur le monde et Philippe Falardeau en est un. Congorama, Monsieur Lazhar ou encore The good lie l’illustrent bien. Celui qui a fait ses études en science politique et a participé à la course destination monde était tout désigné pour faire Guibord s’en va-t-en guerre.

Cette satire politique raconte l’histoire d’un député fédéral indépendant de Prescott-Makadew à Rapides-aux-Outardes, du nom de Guibord (Patrick Huard), qui se retrouvera malgré lui avec la balance du pouvoir sur la question de savoir si le Canada ira en guerre ou non au Moyen-Orient. Il aura la lourde tâche de devoir trancher entre l’opinion des travailleurs, des premières nations, de sa propre famille, des médias et même du premier ministre canadien. Pour en rajouter, il devra composer avec son nouveau stagiaire idéaliste, du nom de Souverain Pascal (Irdens Exantus), fraîchement débarqué d’Haïti.

Ce duo improbable qu’est Steve Guibord et Souverain Pascal, n’est pas sans rappeler un certain Bon Cop, Bad Cop, dans lequel Huard était justement la tête d’affiche. La comédie n’est pas un genre facile à exploiter, le secret réside surtout dans le rythme et Falardeau l’a bien saisi. Son montage est rythmé, accompagné d’un thème musical entraînant signé Martin Léon, qui nous suivra jusqu’au générique et peut-être même après, tellement c’est un ver d’oreille musclé. Bien que la politique soit le sujet principal de ce film, Falardeau réussit à éviter le piège didactique et à nous informer, tout en nous divertissant. Faire de la politique, de la vraie, n’est pas chose simple, surtout dans le cas de Guibord, qui doit couvrir l’énorme territoire du Nord québécois, soit trois fois la superficie de l’Haïti. Territoire vertigineux qui est montré à l’écran par des prises aériennes magnifiques. Ce territoire, bien que fictif pour les besoins scénaristiques, nous ramène quand même à des réalités du Québec, comme celle des Algonquins qui n’ont pour seul moyen que de bloquer des routes pour se faire entendre lors de leurs revendications. Le fait que Falardeau ait choisi d’utiliser de vrais Autochtones renforce la réalité à travers cette fiction. Seul bémol, chez certains de ces non-acteurs on sent le texte. Faire de la politique, c’est aussi devoir courir les soupers spaghetti, planter des arbres et devoir être à l’écoute du peuple, même si ce peuple nous endort avec des poèmes moches ou autres trucs du genre. Heureusement, Guibord est soutenu par sa femme Suzanne (Suzanne Clément) et sa fille Lune (Clémence Dufresne-Deslières), toutes deux aimantes. Un constat intéressant est fait entre l’engouement irréprochable qu’ont les Haïtiens envers la politique, comparativement à nous qui vivons dans un spleen politique. Certains passages sont aussi inspirés par Marc Lemay, député du Bloc Québécois, dans la circonscription électorale d’Abitibi-Témiscamingue. Ce dernier apparaît même, un court instant, pendant une consultation publique.

Si cette comédie fonctionne, ce n’est pas seulement une question de rythme, mais une question d’acteurs. Patrick Huard, qui a longtemps enchaîné les rôles comiques dans de nombreux films québécois, arrive à jouer un Guibord à la fois naïf par moment, honnête, drôle et humain. Sans la présence d’Irdens Exantus, qui en est à son tout premier long-métrage, ce film n’aurait pas été aussi réussi. Il incarne à la perfection le côté idéaliste et rêveur, tout en étant brillant et de bon conseil. Son personnage de Souverain est hautement attachant. Paul Doucet en tant que premier ministre du Canada, caricature à merveille un certain Harper. Sonia Cordeau, qui joue la comédie dans les Appendices, est excellente dans son rôle de journaliste locale inexpérimentée. Les apparitions de Robin Aubert, dans son rôle de Rodrigue, ce bègue et porte-parole du syndicat des camionneurs, sont tout à fait hilarantes. Suzanne Clément et Clémence Dufresne-Deslières, qui jouent respectivement la femme et la fille de Guibord, sont aidantes et confrontantes à la fois. Finalement, Micheline Lanctôt, qu’on voit trop peu, est adorable dans son rôle de la mairesse de Chute-à-Philémon.

Guibord s’en va-t-en guerre est sans aucun doute une des meilleures comédies québécoises de l’année 2015. Un film vainqueur, dans cette guerre qu’est parfois le cinéma.

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