Chien de ruelle

Date : 23 novembre 2018
| Chroniqueur.es : Jean-Benoît Baron
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Le nom d’Yves Boisvert ne résonne peut-être pas aux oreilles de monsieur et madame Tout-le-Monde, mais pour les fervents amoureux de littérature, c’est autre chose. Boisvert, ce fut avant tout un poète qui a publié une trentaine d’œuvres, sur une période de 35 ans. Pour son tout premier long, Yan Giroux, cinéaste, a décidé de tourner son objectif vers ce poète maudit, vagabond et rebelle. Au départ, Giroux avait approché Boisvert pour tourner un documentaire sur ce dernier. Le poète avait accepté, mais malheureusement, la maladie a progressé si rapidement jusqu’à l’emporter que le cinéaste a vu son projet être avorté. Il s’est donc tourné vers un film de fiction, qu’il a intitulé À tous ceux qui ne me lisent pas.

Pour mettre les mots en bouche de ce poète prolifique, c’est sur le comédien Martin Dubreuil que Giroux s’est arrêté. Pour incarner Dyane, l’amoureuse qui a été importante dans la vie de Boisvert, c’est Céline Bonnier qui a décroché ce rôle. Finalement, il y a Henri Picard, jouant le fis de Dyane. Le duo Dubreuil/Bonnier se marie à merveille. La chimie fonctionne à l’écran et le couple est inspirant. Henri Picard quant à lui, est tout à fait convaincant, dans le rôle de ce jeune adolescent, influencé par Boisvert, qui découvrira son intérêt pour l’art visuel. Sa complicité avec Dubreuil est aussi charmante. Finalement, Martin Dubreuil est probablement le meilleur choix d’acteur que le cinéaste pouvait faire. Dubreuil, sous ses traits de mauvais garçon, devient, le temps d’un film, Yves Boisvert, ce poète bohème.

Le cinéaste aurait pu créer un biopic classique, suivant les traces de ce personnage, du début à la fin de sa vie, mais au contraire, il a plutôt opté de concentrer son récit sur un moment précis de sa carrière, celle de la création de son célèbre Les Chaouins, premier recueil de la trilogie Cultures périphériques. Même si Les Chaouins a été publié vers la fin des années 90, Giroux place son film à notre époque, dans un univers contemporain, donnant lieux à des scènes loufoques, comme celle où le poète écoute sa musique sur son vieux baladeur, aux côtés du jeune sur son cellulaire. Car il faut le préciser, Boisvert était avant tout un homme libre, affranchi de la société et de ses progrès technologiques, refusant d’entrer dans le moule, allant même jusqu’à contester de subvenir à un loyer, préférant crécher chez qui voulait bien l’accueillir. C’était aussi un poète qui avait pour muses l’alcool et la cigarette, c’est d’ailleurs sans grande surprise que le cancer du poumon l’a emporté en 2012, à l’âge de 62 ans. Tout ceci est non seulement bien reflété dans le long-métrage, mais il y a des scènes criantes de symboliques, comme celle de ce chien, enchaîné par sa niche et la traînant avec lui sans cesse. Il y a aussi ces nombreux plans-séquences, qui ajoutent à la beauté de ce film. Certains habitués des soirées de poésie seront ravis de voir à l’écran des visages connus, comme Elkahna Talbi, mieux connue sous le nom de scène de Queen Ka. Cela fait du bien d’ailleurs, d’entendre de la poésie contemporaine au cinéma. Inspiré par la vie de Boisvert, le cinéaste a créé un film poétique où le tout atteint son paroxysme dans la toute dernière scène du film, assistant à un film dans un film.

À la sortie du visionnement, on a le goût de deux choses, soit toute sacrer là et de s’empresser d’aller découvrir l’œuvre d’Yves Boisvert. Le cinéma québécois étant parfois boudé par certains spectateurs, je les inviterais à s’aventurer devant une histoire sans grands effets spéciaux, mais d’une poésie enivrante, encourageant du même coup le premier film d’un réalisateur à l’avenir prometteur. Nous pourrons ainsi empêcher que ça ne devienne pas À tous ceux qui ne me regardent pas.

 

Le film est disponible à La Maison du Cinéma : http://lamaisonducinema.com/film/tous-ceux-qui-ne-lisent-pas/

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