À bout de nerfs

Date : 23 septembre 2018
| Chroniqueur.es : Jean-Benoît Baron
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C’est après nous avoir offert sa trilogie sur les gangs criminalisés, avec Hochelaga, Histoire de Pen et Bumrush, que Michel Jetté nous revient avec sa nouvelle proposition : Burn Out ou La Servitude Volontaire. C’est un drame assez obscur, sorte d’essai, sur lequel le réalisateur s’est penché.

Jetté nous raconte comment le projet a pris naissance.

« En 2006, y’a eu un effondrement de gens alentour de moi qui étaient atteints profondément par des burn-out et des dépressions très profondes. Et quelques-uns d’entre eux ont même été jusqu’à la tentative de suicide. Alors à partir de là, j’ai commencé à faire une enquête. Ce que j’ai découvert était vraiment assez étonnant. Entre autres, le burn-out est devenu la maladie du siècle, ça a dépassé le cancer. Le travail s’est tellement modifié depuis 30 ans, on a tellement axé sur les objectifs, la performance, les résultats et on a enfermé les gens dans une espèce de dynamique qui, carrément, les rend malades. »

Le nouveau film de Michel Jetté, met en scène l’histoire d’un couple, campé par Emmanuel Auger et Jézabel Drolet, qui sont sur le bord du burn-out, dû entre autres à l’épuisement professionnel. Paul Dion est également présent au générique. Jetté ajoute :

« Le burn-out, c’est une danse à deux, ça veut dire qu’il y a une part du burn-out où on est responsable de notre propre mal. Alors le film explore beaucoup cette dynamique-là, d’où le sous-titre, la servitude volontaire, qui est basé sur les textes d’Étienne de La Boétie, qui a écrit en 1500 son Discours sur la servitude volontaire. Ce gars-là a eu cette fabuleuse capacité à entrer en contact avec des aspects fondamentaux du comportement humain. Et là, on est en 2018, et on a l’impression que cela a été écrit l’année passée. »

Emmanuel Auger est également à l’origine du projet. À ce sujet, il nous raconte :

« Je me suis dit un jour, il y a quelqu’un qui va prendre le sujet et qui va faire un film et on va dire Michel, on sait bien, il a copié. C’est toujours ça, si tu arrives le deuxième, ils vont dire tu as été influencé, tu n’as pas eu l’idée originale de ça et le scénario, il est très puissant. On avait commencé à regarder Burn out avant Bumbrush, mais là Bumbrush a tellement pris d’ampleur dans l’univers de Michel qu’il avait décidé de mettre ça de côté. On est revenus après, quand on a eu fini, puis j’ai dit Michel, il faut le faire là. C’est le moment ou jamais! »

On sent également cette urgence à tourner dans ce film. Tout a été tourné avec peu de moyens et dès les premières images, on aurait tendance à croire que nous nous trouvons devant un film amateur et pourtant, ce n’est pas le cas. Il y a une espèce de laideur omniprésente dans Burn out, tant au niveau de l’image, que de la typographie, mais le tout sert le propos. À ce sujet, Jetté s’explique.

« Dès le départ, j’ai annoncé aux comédiens, c’est un film très proche de Dogma. Alors pas d’éclairage ou l’éclairage ambiant et on s’adapte à l’éclairage. On accentuait les travers d’éclairage, alors ça donnait un univers vraiment plus glauque, plus dur et c’était voulu. Et ça c’est un point fondamental dans le traitement, c’est-à-dire qu’au lieu de se battre contre notre environnement cinématographique, on s’est dit c’est lui qui va nous guider dans la création. On s’est dit, comment est-ce qu’on peut arriver à utiliser l’éclairage affreux, pour que l’affreux devienne partie intégrante du narratif visuel. On a travaillé dans des contextes difficiles. Je considère qu’il y a une espèce de conformisme qui s’est installé au niveau cinématographique. On a toujours cette étrange impression de série en série, de film en film, à part des fois quelques perles ou quelques ovnis qui apparaissent, que les histoires se racontent un peu de la même façon. On a l’impression de voir à peu près la même dynamique narrative, alors que moi je pense qu’il est vraiment temps en termes d’objet social de brasser la cage. »

Avis aux cinéphiles, c’est le genre de film que vous aimerez ou que vous détesterez. C’est un film d’auteur, dans tout ce qu’il y a de plus classique, dans tout ce qu’il y a de plus artistique et étrange à la fois. À certains moments, nous avons l’impression d’être dans Inland Empire, de David Lynch. Comme les petites productions, ce fut tout un travail pour mener à terme le projet et c’est grâce entre autres à Paul Dion, acteur et ami de Michel Jetté, ainsi que la productrice, monteuse et preneuse de son, Louise Sabourin. Le film a pris presque cinq ans à produire et Jetté termine cet entretien en nous avouant que lui aussi a presque fait un burn-out!

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