Dieu vient me chercher

Date : 8 octobre 2020
| Chroniqueur.es : Fanie Lebrun
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Non pas que je sois croyante mais à ce moment-là, c’était la seule chose que je voyais. « Dieu vient me chercher ou envoie-moi ma dose de morphine parce que je n’en peux plus ». Je ne savais pas que l’on pouvait, humainement parlant, avoir un corps qui puisse faire aussi mal. Il n’est pas venu me chercher, je n’ai pas eu ma dose. Sur le coup, j’ai procrastiné en remettant à plus tard la signification de tout cela. Fu*** la philosophie, faut juste que je passe au travers. L’humour m’a sauvé. En fait, je dirais la sagesse de l’humour. Faire rire les équipes médicales pour oublier le mépris de certain.es. Quand l’infirmière m’a dit : « Ben bouge un peu, va marcher ça va passer! ». J’entendais ces mots mais elle n’entendait pas les miens. Quand je suis revenue de la radiographie, mon tuyau était pris dans l’œsophage, pas à la bonne hauteur. Ce fut la vilaine explication des heures interminables de nausées. C’était sans compter que j’avais deux poteaux à déplacer, un pour chaque main avec des roulettes malcommodes de chariot d’épicerie.

Le mépris vient-il avant ou après le manque de sensibilité?

Le médecin qui m’accuse d’avoir enlevé mon tube n’entend pas que j’ai pleuré ma vie et le plaster s’est décollé et le tuyau est tombé. La veille, j’avais appelé mon frère pour lui dire que les prochains jours seraient difficiles, ils allaient m’insérer un tuyau par le nez pour me vider l’estomac. J’aurais pu mourir d’une occlusion intestinale due à une erreur médicale. Passée d’une hystérectomie à une laparoscopie, deux anesthésies générales en moins de trois semaines, j’avais gagné à la loto!

Contrairement aux autres, la chanceuse, j’étais interdit de manger, nourrie par intraveineuse. À la différence des gens de l’étage, je n’avais pas à subir la bouffe d’hôpital. « Ah non, c’est vrai on ne mange pas ici » disait celle qui tournait les talons pour sortir de la chambre en s’étant trompé. Ce qui est bien, elle avait l’habitude d’oublier pour me rappeler que je ne mangeais pas. Même végétarienne (depuis 30 ans), je n’ai jamais eu autant envie de poulet à force de voir les annonces du temps des fêtes.

Entre le médecin qui me discrédite, l’autre qui me coud le plancher pelvien à un bout d’intestin et le reste, je ne sais même plus discerner le mépris, de l’incompétence de la négligence. Complexe à départager.

En pleine nuit, réveillée par miracle juste à temps, juste avant que Satan s’empare de mon corps pour me brûler vivante, je demande à l’infirmier mon antidouleur et calmant. Le temps de revenir, je m’étais rendormie, il est reparti. Pour mieux revenir plus tard, me voir en boule d’enfer, maudite braillarde que je suis. J’ai vu dans ses yeux la désolation d’avoir manqué son coup. Après des semaines de piqûres quotidiennes d’anticoagulant, il n’y avait plus de place à piquer les cuisses et le ventre, incapable d’un 3e tour, je n’en pouvais plus. Je pleurais encore. L’infirmière me dit que « justement il serait peut-être tant que tu t’en retournes chez-vous! ». Comme si j’avais le choix. Merci, je n’y avais pas pensé.

Là où j’avais du choix. De faire rire. Arrivée en chaise roulante avec le défi de me mettre debout pour la radiographie, je disais : « me voilà réincarnée en Christ Rédempteur du Corcovado ». Avec ce qu’ils voyaient à l’écran, les gens disaient aux médecins « ouin la patiente doit souffrir han! ». Je voulais les soulager.

Avec trop d’ambition, accrochée à la rampe au bout du corridor, une infirmière m’a demandé si cela allait. En revenant en chaise roulante à ma chambre, je l’ai remercié du lift gratis… Oui, merci de m’avoir vu et entendu.

L’information, c’est le pouvoir!

Les questions, je les ai posées quand un infirmier m’a informé dans le cadre de porte que je n’étais pas obligé de recevoir la piqure du jour. J’ai informé l’équipe de mon refus. J’ai pris des dispositions pour bouger plus, de mon lit à ma fenêtre et de ma chambre au corridor.

C’est drôle, je ne m’étais jamais arrêtée au fait que cela aurait pu être attribuable à des gestes de discrimination. Une couche au reste. Des équipes débordées et autres dérives. Ce qui serait plausible en tant que minorité visible, les ‘’maladresses’’ liées à ma couleur ont été nombreuses. À l’hôpital comme dans la vie (voir C’est quoi être québécois.e – Entrée Libre), je les traitais avec humour.

Ce n’est pas plus mal d’être une minorité visible, on est facile à repérer dans une foule! Fallait voir cette infirmière émue au Granada de me voir sur pied, à danser. « Le cas » de l’étage, elle s’en rappelait, de me voir en forme elle s’en réjouissait.

Au final, Dieu n’est pas venu me chercher. Ce sont plutôt des Dieux et Déesses qui l’ont fait, venir me chercher dans le creux du cœur. Intéressé.e à ma condition en faisant la différence par une question, une parole, un regard de considération et par une attention singulière au contexte d’être vulnérable et en douleur. Je ne souhaite pas retourner à l’hôpital, je ne veux pas savoir ce qu’une zoonose sévère pourrait faire à mon corps.

Je doute encore des raisons de ce calvaire entre les conditions défaillantes et les attitudes déplacées. J’ai compris que j’étais choyée, même dans l’adversité. Par la présence des ami.es, on apprend à recevoir. Aujourd’hui, quand mon amie me demande ce dont j’ai besoin, je lui réponds spontanément : de rire! Mon autre ami, au détour d’une discussion, m’a défini le jugement comme quand on appose le sceau de la condamnation. Apparemment que l’on donne souvent ce dont on a besoin. Je fais rire, pour rire à mon tour. Parfois, je fais preuve de compassion pour la voir s’incarner ailleurs pour plus de dignité humaine.

Voilà, pas fervente monothéiste mais ‘’multireligieuse’’. Mais, à ce moment-là, je ne le savais pas. Vous ai-je dit que je n’avais pas la tête à philosopher? Dois-je dire aussi que je pense au sort de Joyce Echaquan et… que j’aurais pu y rester.

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