Droit au logement ou droit de faire de l’argent ?

Date : 1 mai 2023
| Chroniqueur.es : Guillaume Manningham
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J’ai déposé un mémoire en avril aux audiences publiques de la commission ad hoc sur le logement lancée par la ville de Sherbrooke. Le lieu du déroulement des audiences au Club de Golf éloigné des quartiers populaires à haute concentration de locataires ne favorisait pas la prise de parole des personnes vivant directement la situation. À plus d’une heure de marche du centre-ville, loin des circuits de bus fréquents et dans un quartier de propriétés moyennes et luxueuses de la ville, cela aurait dû sauter aux yeux par rapport aux quartiers de l’est, du quartier Ascot ou du centro par exemple. Pourquoi pas dans ces trois quartiers de façon plus mobile ? 

Extraits du mémoire déposé : 

Dépossession des espaces et des habitats

Dans la dernière année, avec la création du PHAQ (Programme d’habitation abordable Québec) et la disparition en douce du programme Accès Logis, nous avons assisté à plusieurs cris du cœur pour sauver ce programme et l’améliorer. Entre 1997 et 2022, Accès Logis a créé 37 000 unités de logements sociaux et communautaires au Québec. Mieux que rien, cela n’a pas rendu effectif le droit au logement pour des dizaines de milliers de personnes. En 2022, il y avait 37 000 ménages inscrits sur des listes en attente pour un logement social au Québec, dont 1300 à Sherbrooke. Et les besoins sont bien plus grands. Ce que le gouvernement du Québec crée avec le PHAQ c’est la poursuite de l’enrichissement d’une clique digne des propriétaires terriens, la marchandisation et la dépossession des espaces et des habitats. Et cela a des conséquences comme on le voit avec des tactiques violentes, légales ou non, pour évincer des locataires ancré·e·s dans leurs milieux et aux humbles revenus. La souffrance, le stress, l’aggravation de conditions médicales ou de maladies et la mort sont des conséquences réelles de ce pouvoir foncier. Heureusement, comme plusieurs témoignent, les immeubles locatifs, davantage les coopératives, les OSBL et les HLM1 , sont également des lieux d’entraide, de soutien, d’aide mutuelle entre personnes qui se comprennent et ne se jugent pas au premier coup d’œil. Ces lieux donnent davantage un sentiment d’appartenance et de réalisation de son habitat partagé avec les défis venant avec. D’être sujet et non seulement objet d’enrichissement. 

Nous avons besoin d’habitats pour vivre, pour nous aimer, pour nous reposer, pour manger et pour nous laver afin de véritablement être digne dans nos aspirations que ce soit en étudiant ou en œuvrant dans nos milieux et nos réseaux, en étant salarié·e ou non. Si notre habitat de vie immédiat et son espace élargi ne sont que terreurs du gestionnaire, du propriétaire, du voisin, du secteur tout en n’ayant pas d’autres possibilités où vivre, ce sont tous les autres aspects relationnels et quotidiens de la vie qui en sont affectés grandement. Durant ce temps, un niveau de vie classe affaires réclame à hauts cris son aéroport local et des officiers militaires jubilent en obtenant 250 millions de dollars du gouvernement fédéral pour rénover des manèges qui n’ont rien d’un jeu.

Pourrait-on faire autrement, démocratisation, socialisation ?

La démocratie dans nos habitats, nos espaces urbains, nos milieux de vie et de travail, elle est bien souvent absente. Nous souffrons de grave myopie quand nous adressons ces différentes réalités en vase clos et à l’intérieur des clôtures existantes qui limitent grandement des manières de faire autrement. L’illusion est de penser pouvoir solutionner un rapport au monde fondamentalement aliéné par la marchandise sans remettre sa domination en question. Il serait temps plus que jamais de revenir à la maison, c’est-à-dire en équilibre dans nos relations à long terme avec les écosystèmes des territoires et au sein de communautés fortes, émancipées, en contrôle et en support mutuel de leur destinée. Pour réparer les dégâts hérités d’un système de destruction sans fin et construire sur des bases solidaires un riche tissu social. L’habitat va continuer de se dégrader si on laisse 89 % des logements au marché privé comme c’est le cas actuellement au Québec quand le minimum serait d’inverser cette proportion. 

Socialiser les logements locatifs c’est un appel avant tout aux personnes vivant la situation de négation du droit au logement depuis des années, des décennies, voire des générations. Faire appel à la participation et à la collaboration pour reconnaître aux petits propriétaires (4 logements ou moins ?) leur partie prenante dans une nouvelle société tout en renonçant à des privilèges et des pouvoirs, cela pourrait se rendre possible si leur cœur est ouvert. Mais, avant tout, la socialisation vise à répondre au droit au logement devant le droit de propriété ce qui est l’inverse en ce moment. De leur côté, si les gestionnaires d’immeubles et d’autres propriétaires, en particulier les grands accumulateurs de « portes » dans leur langage dénaturant l’habitat, poussent des cris cela serait bien normal. Nous voyons même actuellement en 2023 GNL-Québec poursuivre les gouvernements pour 20 milliards de dollars à cause du refus d’un mégaprojet de gazoduc , et ce devant une cour transnationale de la Banque mondiale qui fait régner en maître le droit de faire de l’argent au détriment des droits humains et à la vie elle-même. Face à ce délire marchand, il est plus que temps de non seulement privilégier Accès Logis au PHAQ, mais de rebâtir les fondations sociales pour que le droit au logement soit réalité. 

Comment y arriver, par la lutte et l’organisation des gens ?

Nous avons besoin de non seulement sortir de notre myopie des problèmes sociaux et d’ouvrir des horizons possibles, mais aussi de varier nos formes de lutte. Il est du droit démocratique de concevoir des changements qui remettent en cause le droit de faire de l’argent avec les habitats urbains comme dans plusieurs sphères essentielles de la vie. Bien plus que des promesses, des petits programmes et des allocations comme les gouvernements fédéraux et provinciaux successifs le font si bien depuis des décennies, nous avons besoin de lutte et d’autoorganisation pour réaliser nous-mêmes cette socialisation. Nous nous sommes trop habitué·e·s depuis trop longtemps à ce que la domination marchande soit loi et nous en vivons les résultats dans notre ville et dans notre monde actuellement. L’émancipation des opprimé·e·s et des exploité·e·s sera leur propre œuvre ce qui peut vouloir dire peu ou beaucoup concrètement comme projet. Dépendamment de notre regard, de nos besoins, de nos mémoires et de nos espoirs. 

Amour et dignité aux locataires mal-logé·e·s d’en bas.


1 Rose-Aimée Automne T. Morin, «  Hommage à mon HLM  », La Presse, 5 mars 2023.
2 «  Le refus de GNL Québec a été une décision purement politique, selon ses promoteurs  » , Radio-Canada, 21 mars 2023

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