Lettre à toi

Date : 6 août 2020
| Chroniqueur.es : Marie-Danielle Larocque
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J’ai longtemps hésité à publier ceci. Je suis inspirée par toutes les personnes qui dénoncent haut et fort les violences sexuelles qu’elles ont subies. Ça donne un boost. J’espère que cette lettre en inspirera d’autres à laisser aller au grand jour leur histoire. Je ne nomme personne. Je ne donne pas beaucoup de détails précis. Je souhaite que quiconque se reconnaisse là-dedans puisse me contacter et/ou contacter le Calacs Agression Estrie pour être accompagné.e dans ses démarches pour se libérer de son emprise dans nos cœurs, nos têtes et nos corps.


Sherbrooke, 2019.

Ça fait plus de dix ans que je traîne un secret qui n’en est maintenant plus un. Notre histoire tout croche remplie d’attentes, de nuits à moitié consommées, de baisers volés, de vulnérabilité, de secrets, de fragilité, de désespoir, de trashitude, de cœurs grand ouverts. Remplie aussi de bières payées, de musique donnée, de soupers arrosés, de shows regardés, de compliments égarés, de contrats travaillés et d’allusions sexuelles effrontées.

J’ai su pour celles qui l’ont vécu après moi. J’ai su pour celles qui l’ont vécu en même temps que moi. Je le sais. Dix ans plus tard, elles ont été cinq à te dénoncer pour des trucs qui s’étaient passés l’année même. Combien de femmes as-tu tourmentées, manipulées, harcelées, agressées, rabaissées, dénigrées en 10 ans? J’ai été une des premières, du moins, dans ce milieu. Ça m’a pris tout ce temps là pour analyser, réfléchir, comprendre et me pardonner.

Parce que la première personne qu’on haït avant toi, c’est soi-même.

La culpabilité de n’avoir rien dénoncé à ce moment me ronge par en dedans, en sachant les gestes que tu as commis dans les années qui ont suivies, ou les mêmes années. Qui le sait vraiment au fond? Est-ce que je peux encore me qualifier de féministe si je ne t’ai pas arrêté sur le coup? Est-ce que je peux encore me regarder dans le miroir en sachant ce que je sais et me taire sur les liens de toutes ces histoires avec la mienne?

Je t’ai rencontré à 22 ans. T’en avais 28. T’étais en couple-maison-enfant-à-venir, et plus tard, en couple-maison-enfants-qui-existent. T’étais aussi en position d’autorité. Comment j’me suis ramassée dans cette situation là? Pourquoi j’suis restée pognée aussi longtemps? Comment j’ai pu être cette « autre » femme, celle qui comprenait tout, acceptait tout, même au détriment de sa propre santé physique et mentale… celle qui attendait, celle qui se détruisait. J’me les suis posées souvent ces questions-là. J’me les pose encore des fois tsé.

J’ai peu de réponses.

Tu sais très bien nous placer dans une zone grise, la zone d’auto-tamponneuse. On pense qu’on va finir par sortir de l’impasse et hop, un peu d’air avant d’arriver dans une autre impasse. Tu nous amènes de A à B sans qu’on s’en aperçoive. Comme si c’était véritablement nos choix, nos idées, alors que ton plan est bien ficelé des lunes à l’avance. Y’a toujours un genre de malaise, beaucoup de non-dits et un grand flou de toute. Je l’aimais ton flou au début ; c’est ce dont j’avais besoin. Me perdre. Seule ou avec toi, les deux m’allaient. T’as été ma bouée dans des moments cruciaux, et t’as aussi été celui qui m’a presque noyée.

J’ai souvent ressenti des feelings de honte, de douleur, de shit qui restent en dedans. J’ai pas senti souvent qu’on était à la bonne place, mais j’avoue que je ne savais justement pas où elle était ma place. Ça m’a pris du temps à vouloir replonger là-dedans. Est-ce que notre histoire est différente de celle des autres? Sans aucun doute. Est-ce qu’elle est plus vraie, plus douce, plus aimante? Je le pensais, jusqu’à temps que je comprenne le pattern dans lequel tu nous places. Le shame d’être dans une petite case secrète, toutes alignées, en attendant que tu décides de la game à jouer. Je me sentais tellement unique, tellement forte, privilégiée de vivre cette histoire. J’me suis rendue compte qu’on était nombreuses à être alignées les unes à côté des autres, à se côtoyer quotidiennement, en ignorant complètement ce que les autres vivaient réellement.

Malgré tout ce que j’ai appris depuis, j’en viens encore à vouloir inconsciemment te protéger, à vouloir te plaire, ne pas te décevoir et surtout, te prouver que je te mérite. À nous voir comme ce qu’on a nous-mêmes été : ni ami.es, ni amant.es, ni amoureux.se, et tout ça en même temps. À te trouver des excuses. À diminuer ce que je vis, à me dire que j’exagère, que c’est dans ma tête. Tu sais, mon cœur éclate dans ma poitrine à chaque fois que je croise une voiture comme la tienne. Pas par envie de te voir – faut-il vraiment le préciser. Ça me fait freaker. Je fais même des crises de panique à la quincaillerie quand je crois quelqu’un qui te ressemble.

On devrait toutes te facturer les heures de psy qu’on passe à se reconstruire.

Je souhaite qu’un jour la vérité te peinture dans un coin [update: ça commence]. Que notre force collective revienne, qu’on soit encore assez fortes et fières pour dénoncer toute la noirceur que tu nous auras communiquée. Que toute cette violence, cette manipulation, te revienne en pleine face. Et que tu te pètes les dents sur l’asphalte quand tu vas tomber.

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