MIETTE

Date : 22 juillet 2021
| Chroniqueur.es : Souley Keïta
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Un court regard sur… MIETTE, qui amènera sans doute une longue discussion nécessaire sur la santé mentale.

L’histoire de Miette commence par un Regard, celui d’un festival de court-métrage à la belle 25e année. Un regard qui renoue le contact avec l’autre et qui permet de se poser délicatement sur une histoire, sans juger. Un regard, qui pour la première fois, écoute.

Rassembler les morceaux, rassembler les miettes laissées derrière nous pour se construire ou se reconstruire son identité. Retranchée dans son appartement dans lequel elle ouvre une porte à une réalisatrice pour une interview, Miette nous livre son monde, avec une sensibilité et sans détour. De son passé en psychiatrie, de l’hospitalisation de ses adelphes, du système de santé mentale, mais aussi du rapport des «autres» avec les maladies mentales où nous avons souvent fermés les yeux, Miette prendra le temps de nous les rouvrir avec sa délicatesse.

Photo courtoisie de Colonelle Films – crédits Marie Davignon

Par cette manière de montrer que la vie et les préoccupations sont autres dans les yeux des oubliés de la société. Par la manière de susciter un regard nouveau sur la santé mentale dans cette quête de l’affirmation identitaire chez les personnes aux différents troubles, les deux réalisatrices, Maude Bouchard (Le Fabuleux engrenage,  Hommage à Léa Pool…) et Camille Trudel (Braquée, La femme nue et 3 longs métrages en développement.) excellent dans ce film intimiste et dont la beauté de Miette, interprétée avec brio par Noémie O’Farrell (Fabuleuses, Feuille morte…) , fleurit dans le parfaitement imparfait.

Pour Entrée Libre, les co-scénaristes et co-réalisatrices, Camille Trudel et Maude Bouchard, nous en disent plus sur leur bouleversante Miette :

Souley Keïta : Première image, première scène. Il y a un élément marquant dans la rencontre entre la réalisatrice et Miette, cette belle contrainte d’être obligé de la suivre et par la suite de l’écouter. Ce même ressenti qui équivaut à amener le spectateur à la suivre dans son histoire. 

Maude Bouchard : C’est une interprétation intéressante. Très sincèrement, ce n’est pas à cela que nous avions pensé, ce n’est pas si loin non plus avec ce genre d’interprétation qui peut émerger. L’idée principale pour nous, c’est avant tout de ne pas la voir, car Miette est une personne qui se cache, qui se faufile. Même si elle est présente, car elle papillonne, elle montre un beau visage, il faut la trouver, car son vrai visage est caché. 

Camille Trudel : Je trouve que ça crée une injonction à la suivre, car elle a cette sorte de dynamique où elle se défile, elle fuit.

Maude Bouchard : Il y a ce paradoxe avec le « j’ai un peu peur de me montrer » et le « si tu veux vraiment me connaître, il faut que tu m’écoutes ».

Souley Keïta : Miette est borderline, mais avant tout un être humain. Vous lui offrez sans cesse, notamment dans les plans de coupe, une évasion dans ce monde où la sensibilité est reine. Était-ce un point d’ordre de démystifier le trop grand nombre d’a priori sur la santé mentale ?

Camille Trudel : Nous avions quand même cet objectif d’en faire un portrait humain avant tout. On cherchait beaucoup dans notre écriture à raconter une histoire, mais il fallait faire attention à ne pas alimenter des clichés qui existent. Il nous fallait sortir des sentiers battus notamment sur la façon dont les personnes en dépression sont présentées, car on nous amène souvent des archétypes. Avec Maude, nous avions la volonté de dépasser ces images qui sont usées parce que c’est tridimensionnel la santé mentale, ce n’est pas quelque chose qui peut être un portrait simplement calqué sur une liste de symptômes, car derrière cela il y a de vrais humains.

Photo courtoisie de Colonelle Films – crédits Marie Davignon

Maude Bouchard : Par ailleurs, ce n’est pas parce que la personne est de bonne humeur et qu’elle est dans cette légèreté qu’elle ne souffre pas de dépression. Il y a une détresse derrière cela notamment lorsque Miette fait référence à sa psychologue qui lui dit qu’elle sourit trop, donc oui, il y avait une volonté de chercher cette nuance dans ce discours-là. Il y a beaucoup plus de gens qui sont atteints par ces problèmes et qui en souffrent réellement.

Souley Keïta : On a pu voir avec la Covid qu’elle a amené un débat sur la santé mentale et l’isolement. Une situation qui a rebattu les cartes sur un débat évité depuis trop longtemps, et qui je l’espère ne va pas être tourné rapidement.

Camille Trudel : J’aimerais rebondir sur ton propos, car c’est important. Au centre de Miette, il y a l’idée du masque. Il y a un truc que la Covid a permis, c’est que les gens n’avaient plus à revêtir ces masques et elle a également permis de lever le voile sur cette situation. Il y avait une volonté de garder cette fine pellicule de bonheur que l’on partage avec les autres. J’espère que l’on va occuper cette espace de conversation, car il y a une authenticité que j’ai rarement vue notamment avec des collègues, qui généralement restent assez discrets sur leur vie privée et lors de réunions sur Zoom, ils se livraient totalement. 

Souley Keïta : Un docu-fiction ou faux documentaire, qu’est-ce qui a animé ce choix crucial de mise en scène?

Camille Trudel : C’est une longue réflexion (rires). Au départ, le projet est né comme cela, dans le jaillissement d’une idée, et dans cette idée il y avait la forme de l’entrevue. Après, cela est sûr que cette forme nous offrait le prétexte parfait dans un contexte où lorsque nous développions le projet, nous n’avions pas de financement. Le documentaire nous offrait un fabuleux prétexte pour creuser très loin, tout en ne nous demandons pas de déployer de grands moyens. Au fur et à mesure que le projet avancé nous nous sommes rendu compte que l’on touchait à quelque chose de sensible. Un projet qui valait la peine de prendre du temps, mais aussi de l’accompagnement, notamment avec Léonie Hurtubise et Justine Chevarie-Cossette, chez Colonelle Films. À partir de ce moment, le projet a eu un souffle, on s’est dit qu’il faut aller chercher du financement et qu’il faut lui donner la chance de lui permettre de fleurir. C’est une réflexion qui s’est échelonnée sur plus d’un an. Cela nous a redonné un questionnement sur l’approche documentaire. Malgré tout nous n’avons jamais voulu flouer les gens en leur faisant croire à un vrai documentaire, car il y a une part de fiction assumée. Le documentaire existe pour la documentariste, mais pour nous l’expérience que l’on se fait du film n’est pas du tout dans les codes du documentaire.

Souley Keïta : J’aimerais revenir sur votre langage cinématographique pour mettre en lumière la dépression. Ce plan sur la dualité du personnage avec ce jeu de miroir, cette impression de se maintenir la tête sous l’eau avec le flou qui accompagne souvent Miette. Pouvez-vous nous en parler un peu plus ? 

Maude Bouchard : Dans notre approche, il y avait l’idée des passages en contrôle vers des passages subjectifs et brouillés. D’ailleurs, le travail sonore vient appuyer ces transitions. Les sensations perçoivent d’autres choses que la vie normale ou le cinéma ordinaire. Dans ce film, nous sommes vraiment dans des micro-sensations qui viennent nous affecter de façon plus directe. Lorsqu’on ôte le masque, c’est le chemin vers lequel nous nous en allons, un chemin vers une ambiance très sensitive. En même temps, c’était des passages elliptiques qui nous permettaient de faire avancer l’entrevue. Je pense également, que dans cette approche cinématographique, nous avons voulu vraiment travailler Camille et moi en faisant partir notre personnage très « haut » que ce soit dans sa tête, dans son langage, dans son physique et plus on s’approche de Miette, plus elle s’affaisse tranquillement pour s’ouvrir et rebondir.  

Camille Trudel : L’univers subjectif est important. D’ailleurs, on remercie l’excellent travail de Marie Davignon à la direction photo. C’est impossible de parler de Miette et de ne pas parler de l’apport de Marie, parce qu’on a utilisé un type de lentilles en particulier, des lentilles anamorphiques pour donner l’impression de l’étirement de la réalité et de quelque chose qui nous absorbe. Cela permet également de nous centrer dans l’intimité du personnage et tant mieux si cela se ressent.

Photo courtoisie de Colonelle Films – crédits Marie Davignon

Maude Bouchard : Cette lentille nous a fait triper, car il y a toute sorte de choses que l’on pouvait projeter dans ce que la lentille apporte, que ce soit dans ces imperfections, dans ces flous, dans ces éclats de lumière. Je pense qu’il y avait le petit clin d’œil au faux documentaire.

Souley Keïta : Je reviens sur les flous sur Miette dans certaines scènes et que je ressens comme une protection pour elle. Est-ce que l’on peut estimer, malheureusement, que le monde n’est pas encore prêt à tout comprendre? 

Camille Trudel : J’ai l’impression que c’est un peu au cœur du personnage de Miette notamment quand elle dit qu’elle est à l’aise d’en parler, mais que les autres ne sont pas prêts à recevoir ce qu’elle a à dire. Je pense que c’est un sentiment partagé par beaucoup de personnes victimes de traumas qui ont ce besoin de se raconter, de faire sens de leur expérience personnelle et ils se confrontent malheureusement au malaise des autres, c’est difficile de recevoir ce type de conversation. Dans le cas de Miette, tous ces mécanismes de défense sont toujours dans cette idée de se protéger. 

Maude Bouchard : Il y a cette double action où elle est certaine de croire que les autres ne sont pas prêts à l’entendre, mais en même temps la détresse que Miette vit est existentielle et cela reste toujours difficile lorsqu’elle replonge, car cela fait émerger une nouvelle vague de souffrance. Est-ce que les gens sont prêts à ce qu’on leur dise tout ? Je pense qu’il y a les deux côtés, celui des gens qui ne sont pas prêts à ce qu’on leur dise tout, mais également celui d’une personne qui vit la douleur et qui n’est pas prêt à tout dire. Quand il y a une douleur intense, cela demande des coussins, mais aussi du flou pour tout le monde.

La plus belle chose dans le cinéma est d’arriver au but ultime, celui de ne pas pousser à faire croire mais simplement de croire à une histoire, Miette n’est pas que les multiples visages d’une maladie qui touchent le cerveau, c’est avant tout une oeuvre brillante qui sait foudroyer le coeur et restera longtemps en tête.

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