Moi pis ma fibro (prise 4)

Date : 3 août 2017
| Chroniqueur.es : Marie-Danielle Larocque
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Année après année, je me fais un devoir d’écrire un p’tit quelque chose, au cas où des développements auraient eu lieu. Eh bien, il n’y en a pas encore cette année.

Les événements publics où je dois faire de nouveaux contacts, c’est vraiment pas mon fort. Genre de 5 à 7 random ou autre truc comme ça. Avec beaucoup de monde. Beaucoup. Beaucoup (trop) de monde. Le faire avec une canne, c’est encore moins plaisant. Parce qu’à un moment donné où un autre, quelqu’un.e trouve pertinent de me demander pourquoi j’ai une canne. Et là, ça devient franchement lourd.

«Fibromyalgie.»

C’est ce que je te réponds. Tu hoches habituellement de la tête, en émettant parfois un «ah, ouais…», en vidant ton verre déjà vide et en regardant ailleurs. Dis, pourquoi t’es si mal à l’aise? Parce que t’as aucune foutue idée de ce que c’est la plupart du temps et que tu veux pas l’avouer. Parce que tu penses fibrose-kystique. Parce que tu te dis que j’ai l’air plutôt bien et qu’en plus, la dernière fois que tu m’as vue, j’avais même pas de canne. Faque tsé: wtf fibromyalgie.

«Tu sais c’est quoi?»

C’est là que tu me dis «oui oui» d’un air nonchalant, hésitant, pour finalement me dire «pas vraiment…» alors que j’te fixe en attendant que tu dises autre chose. Et c’est là que je t’explique sommairement, parce que j’me dis que si j’le fais pas sur place, t’iras certainement pas le googler plus tard: comme la fatigue chronique, mais avec des douleurs partout. Pas de traitement. Pas de sommeil réparateur. Sensibilité accrue aux bruits et à la lumière. Un dysfonctionnement neurologique. La switch douleur à on tout l’temps. Et autres problématiques du genre (la liste est longue et c’est différent pour chaque personne). Nettement plus de femmes que d’hommes. Différents facteurs, dont un poids émotif important, un choc émotif important, qui revient presque toujours dans les témoignages. J’arrête habituellement là, et j’me retiens d’étaler (encore) la théorie féministe qui associe pressionsociale-agressions-socialisation-travailducare-violences-sexisme et fibromyalgie. La canne c’est quand ce ne sont pas nécessairement des bonnes journées. Un peu pour me soutenir physiquement. Un peu pour m’aider socialement.

«Ah… désolé.»

[Ouais, c’est nécessairement ta faute et tu dois t’excuser (soupir)].

Ouais, parce que quand tu vis avec un handicap invisible, les gens ont la même attitude de marde à l’égard de tout l’monde, égal. Mais quand t’as une canne, soudainement, y’a un peu plus de gentillesse. Y’a aussi un peu plus de pitié. Un peu plus de malaise.

«Ah…»

Yep. C’est fucking désagréable. C’est pour ça que j’gosse pour que les événements aient lieu dans des endroits accessibles. Ces lieux si peu nombreux, où on n’a pas l’obligation de consommer, où on n’a pas besoin de demander à quelqu’un.e de tenir la porte, où on peut aller aux toilettes tranquille et où on n’a pas besoin de demander la permission pour prendre l’ascenseur (allô l’Hôtel de Ville).

«Ah ouin?»

Ouin. J’ai le privilège d’être autonome, de ne pas prendre ma canne si je ne la veux pas, même si j’ai mal, de monter les marches quand même, d’assister aux événements dans des salles avec une marche à l’avant et des portes non automatiques. Je vis aussi l’autre versant, des moments où je n’ai pas ce choix, où je suis trop fatiguée pour rester debout, mais qu’aucune chaise n’est prévue. Où j’aimerais ben ça pas avoir à forcer pour ouvrir la porte, pas à demander si l’endroit est accessible au préalable, où je suis fatiguée, de répéter, encore, qu’il FAUT que les événements aient lieu dans des endroits accessibles, qu’il FAUT que cette information soit disponible et qu’il FAUT que ces endroits soient réellement accessibles de A à Z.

«Hm, j’comprends.»

Non, tu comprends pas. Sais-tu pourquoi? Parce que tu y aurais pensé avant. Parce que j’aurais pas eu à le nommer 3 fois pour le visibiliser. Parce que la dernière fois que j’ai fait le commentaire, tu l’as même pas noté. Parce que t’es même pas capable d’en parler. Parce que [insérer la situation]. Fuck you.

Ça, c’est ce que j’aimerais te répondre. Toi qui en as rien à crisser, qui check pas ses privilèges, qui peut tout faire tout l’temps et/ou qui «n’y a pas pensé». Qui se permet de poser des questions ultra personnelles et envahissantes à quelqu’une que tu connais même pas. Qui ne le vit pas.

Mais j’le fais pas. Comme dirait l’autre, j’me mets un sourire Colgate en ravalant ma salive (bon, des fois non, j’avoue). Parce que sinon l’autre partie de la conversation, c’est toi qui me dit que j’suis émotive. Qu’il faut pas capoter avec ça, que les changements c’est long à arriver, que ce sont les efforts qui comptent. Que tu sais «telllllllement» pas comment je fais, que je fais du «bon travail». Un peu comme quand j’te parle de féminisme. Comme si j’avais 5 ans et que j’avais aucune idée de c’que j’faisais. Un peu comme une p’tite fille perdue et fragile qui cherche des conseils et qui a besoin d’un hi-five. J’me demande vraiment ce qui te fait adopter ce genre d’attitude.

L’accessibilité, l’inclusivité, la diversité, c’est pas juste des beaux mots qui te permettent de te faire réélire, de te péter les bretelles, qui te méritent des félicitations, des tapes dans l’dos pis des beaux sourires. C’est le.fucking.minimum. Et quand ces principes-là ne sont pas respectés, non seulement ça va à l’encontre des droits fondamentaux, mais ça renforce les stéréotypes, l’exclusion sociale et le sentiment d’incompétence qu’on peut ressentir quand on t’entend ensuite dire «si tu veux, tu peux!».

Eh bien non, même si j’veux, j’peux pas tout l’temps. Parce que pour plusieurs, il ne suffit que d’un peu de volonté individuelle pour aller se promener dans un champ de fleurs et conquérir le monde, alors que ce qu’il faut réellement, c’est de la volonté collective et de la volonté politique, pour commencer ne serait-ce qu’à y penser.

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