Nos corps ne sont pas des territoires à conquérir

Date : 1 novembre 2016
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Le 26 octobre dernier, près de 300 personnes, majoritairement des femmes, ont pris les rues de Sherbrooke pour dénoncer la culture du viol, le patriarcat et l’ensemble des violences envers les femmes. La volonté d’inclure les femmes racisées, les femmes trans, les femmes autochtones de même que celles en situation d’handicap, physique ou intellectuel, s’est ressentie durant les discours, le ras l’bol était palpable dans les slogans, la solidarité et l’empathie l’étaient lors des témoignages au micro ouvert. Un moment rempli de force et de résistance. Des manifestations avaient lieu simultanément à Montréal, Québec, Gatineau et Chicoutimi.

Les médias ont énormément parlé des agressions à l’Université Laval et d’Alice Paquet qui dénonçait le député Gerry Sklavounos. Or, cette même journée, la crédibilité des femmes autochtones était encore une fois attaquée par une poursuite en diffamation. Cette nouvelle est passée sous silence dans les médias, ceux-ci préférant s’attarder sur la vie personnelle d’Alice Paquet ou faisant un reportage sensationnaliste à propos de portes barrées, comme si c’était réellement ça le problème.

Nous tenons à reproduire ici intégralement le discours du Collectif Hamamélis lors de la manifestation sherbrookoise, car malgré cette prise de parole et malgré le descriptif de l’événement qui était clair à ce sujet, les femmes autochtones ont encore été les grandes oubliées au lendemain de ces manifestations.

«Nous voulons remercier le peuple abénaquis de nous accueillir sur son territoire. C’est important pour nous de reconnaître la violence et les répercussions du colonialisme, qui d’ailleurs est encore bien présent aujourd’hui, on n’a qu’à penser à la Loi sur les Indiens. Sherbrooke s’est construite sur des terres volées, ça aussi, il faut le dire.

Il y a un an presque jour pour jour, des femmes autochtones de Val-d’Or prenaient la parole lors d’un reportage de Radio-Canada pour dénoncer les agressions qu’elles avaient vécu de la part de policiers de la SQ. Non seulement la SQ n’a jamais nié publiquement les allégations d’agression sexuelle de la part de ses agents, voilà maintenant que 41 d’entre eux, financés à même les cotisations des membres de l’Association des policières et policiers du Québec, l’APPQ, poursuivent Radio-Canada et la journaliste Josée Dupuis pour 2320000$ pour diffamation. En aviez-vous entendu parler? Cette nouvelle est sortie la même journée que la dénonciation de Gerry Sklavounos…

On profite de ce discours pour dénoncer le traitement médiatique des femmes autochtones: c’est simple, il est carrément inexistant. Elles sont invisibles, même si elles sont 5 fois plus exposées à la violence que les femmes allochtones, que plus de 1200 femmes autochtones sont portées disparues ou ont été assassinées depuis 30 ans, qu’elles sont surreprésentées dans le milieu carcéral, dans les rues, dans les réseaux de prostitution, etc. Elles ne sont que statistiques alarmantes, alors qu’elles s’organisent, qu’elles agissent, qu’elles résistent et surtout, qu’elles existent.

On aurait voulu trouver un exemple de culture du viol qu’on n’aurait pas fait mieux. Tout est là: remise en cause des motifs de dénonciation et de la véracité des propos tenus par les femmes, préjugés qui mettent la faute sur les victimes, refus de reconnaître la violence vécue d’une quelconque manière, questionnement à outrance des victimes de la part d’un enquêteur privé, tout ça dans un contexte de relations de pouvoir. Oui, un enquêteur privé. La poursuite a engagé un détective privé, ancien de la GRC maintenant à la retraite, pour questionner l’ensemble des femmes autochtones qui ont fait des déclarations, une excellente manœuvre pour accentuer la peur, d’autant plus que les femmes attendent toujours de savoir si leurs accusations seront déposées au Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP). De plus, les Services parajudiciaires autochtones du Québec (SPAQ) ont dit avoir acheminé au SPVM seulement 11 plaintes officielles des plus de 75 appels reçus depuis le début de leur mandat en avril dernier. Femmes autochtones du Québec a dénoncé par voie de communiqué le fait que parmi ces plaintes officielles, seulement 5 proviennent de femmes autochtones alors qu’elles ont lancé quatre fois plus d’appels!

Tout ça ne sert qu’une chose au final: banaliser et invalider les dénonciations des femmes. On tente encore de faire taire les voix de celles qui vivent au quotidien avec la violence dans leur corps, de celles vivant au quotidien la violence, point, simplement parce qu’elles sont femmes, et autochtones. On détourne encore le spotlight pour le mettre sur les présumés agresseurs à grands coups de déclarations prémâchées: «On a brisé, on a ruiné des carrières de jeunes policiers qui étaient dévoués à la cause, des jeunes professionnels, en une seule émission qui visait à obtenir de bonnes cotes d’écoute.». Ça, c’était une citation de Pierre Veilleux, directeur de l’APPQ! On essaie de discréditer les survivantes en évoquant qu’une des femmes du reportage «traîne un lourd historique judiciaire» et qu’elle pouvait «avoir un intérêt personnel à salir la réputation des policiers»… Franchement.

Comment peut-on espérer que les femmes portent plainte quand on nous sert le même discours paternaliste et culpabilisant depuis des décennies?

Ce soir, le Collectif Hamamélis dénonce l’impunité policière et la loi du silence.

On refuse de voir un problème systémique, pourtant si évident, de même que l’étendue des structures patriarcales et colonialistes de l’État. La police, c’est une image, une culture, une entité en soi. Peu importe l’endroit. On parle beaucoup de Val-d’Or, mais les dénonciations d’inconduites policières se multiplient à travers la province et le pays. C’est facile de se dissocier d’un individu ou d’un comportement en argumentant que chaque corps policier est différent et que ce sont des cas isolés. Il faut tout de même reconnaître qu’au nombre de cas isolés, ça ressemble pas mal plus à un problème structurel qu’à un problème individuel. En guise de solidarité, plus de 2500 agents de la SQ, à travers le Québec, porteront un bracelet rouge orné de 8 étoiles représentant les policiers suspendus et du chiffre 144, qui est le numéro de leur poste à Val-d’Or. Qu’on arrête de nous prendre pour des imbéciles!

Ce soir, on pense notamment aux militantes qui se sont faites agressées lors de leur incarcération au G8 de Toronto en 2010, à celles dont les cheveux ont été caressés par un membre de l’antiémeute alors qu’il circulait derrière elles au printemps 2012, à celles qui ont été insultées et violentées simplement parce qu’elles manifestaient ou qu’elles prenaient la parole publiquement. On pense à celles qui dénoncent leur agression et qui se font décourager dès le départ, à celles qui ensuite dénoncent haut et fort le traitement qu’elles ont reçu, et qui sont encore marginalisées, invalidées. On pense à celles qui reçoivent des menaces de mort, des messages haineux, qui voient leur adresse personnelle circuler publiquement, qui portent plainte et qui ne sont pas prises au sérieux, à celles qui ne peuvent même pas le faire pour différentes raisons, aux femmes sans-statut, aux détenues de Leclerc, à celles dont la voix n’est pas entendue, à celles qui n’ont même pas l’espace pour le faire. On pense aussi à celles qui ont été assassinées, qui craignent pour leur sécurité, à celles qui sont persécutées, harcelées, intimidées.

On est aussi solidaires avec Jeannette Pilot, une femme innue de Uashat-Maliotenam actuellement incarcérée pour avoir dénoncé le fait que le chef de la bande est encore en poste alors qu’il est accusé d’agression sexuelle sur une mineure. Jeannette Pilot est en grève de la faim depuis lundi et des marches de solidarité s’organisent. On veut lui dire ce soir qu’on la supporte dans sa résistance.

À toutes celles qui ont vécu une ou des agression(s), qu’elle soit dénoncée ou non, peu importe le statut de votre ou de vos agresseur(s), peu importe votre statut à vous, nous reconnaissons votre force, nous vous croyons, nous vous soutenons.

Nos corps ne sont pas des territoires à conquérir, à nous de les défendre!»

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