Peter Watkins : à fond la forme

Date : 14 décembre 2013
| Chroniqueur.es : Sylvain Vigier
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Vacances du temps des fêtes, pause des obligations professionnelles, enfin de bonnes raisons pour courir dans son salon et prendre une bonne infusion de militantisme politique et d’analyse des médias en se plongeant dans la filmographie de Peter Watkins.

Cinéaste britannique militant, auteur en 40 ans d’une quinzaine de films mal diffusés ou censurés, Peter Watkins place sa caméra à la croisée du film documentaire, de la fiction historique et de la télé-réalité avant l’heure. Les combats politiques de ses films sont en connexion directe avec ceux des époques qu’il traverse : libertés d’expression et répression politique des années 60-70 (Forgotten Faces, Punishment Park), antimilitarisme (Le Journal d’un Soldat Inconnu, La Bombe, La Bataille de Culloden), et la mondialisation des années 90-2000 (La Commune, Paris 1871). Mais au-delà du fond politique, Watkins met en scène une forme directement inspirée des médias télévisuels. La mono-forme, ou forme identique et stéréotypée utilisée par les médias de masse pour véhiculer une pensée sans relief et conforme au Pouvoir, représente le vrai combat politique de Watkins.

Des films «  qu’il faut avoir vu avant de mourir  », la violente claque reçue par le dénouement de Punishment Park le range de fait dans cette catégorie. Dans l’Amérique de Nixon et de l’escalade de la guerre au Vietnam, le «  McCarren act  » autorise à «  placer en détention toute personne susceptible de porter atteinte à la sécurité intérieure  » sans enquête ou notification de justice. Se suivent deux groupes de jeunes gens, militants politiques, associatifs, artistes ou réfractaires à la guerre, l’un passant devant le tribunal d’exception, l’autre le quittant pour effectuer sa peine dans un punishment park voisin. Le film monte en parallèle et caméra à l’épaule le dialogue de sourd qui s’instaure d’emblée entre juges et accusés tandis que s’installe progressivement le jeu de dupe de 4 jours dans un punishment park. Miroir grossissant du passé du groupe condamné et du futur du groupe jugé, les images documentaires sont le fait de journalistes de médias internationaux invités par l’autorité elle même à rendre compte de l’impartialité de ces tribunaux d’exception au Pays du 1er amendement. Au final, leur présence et leur témoignage ne rendent compte que de la suprématie de celui qui tient le bâton et les rênes du pouvoir.

Autres temps, autres mœurs, Peter Watkins tourne en 2000 La Commune (Paris 1871), fresque historique de 3 heures 30 minutes (version courte, 5 heures 30 minutes en longue) sur la première organisation sociale autogérée d’ampleur qui s’organisa à Paris entre les mois de mars et mai 1871 avant d’être impitoyablement détruite par le gouvernement national. Fidèle à sa conscience des combats politiques du moment, Watkins souhaite communiquer sur une période historique occultée des manuels scolaire car considérée subversive et organiser un espace de réflexion et de lutte face aux nouveaux enjeux de la Mondialisation et du néo-libéralisme économique. Ici le dispositif filmique est total : sur un fond purement factuel et chronologique une forme anachronique et non scénarisée est mise en place. Deux journalistes de la «  télé de la commune  » nous font vivre live les événements de la Commune et recueillent la parole et les espérances des citoyens engagés dans ce nouvel ordre social. Lénifiante, mal informée, mais sauvagement méprisante et malveillante, «  télé-Versailles  » rassure et réconforte la bourgeoisie terrée dans ses appartements cossus ou émigrée hors les murs de Paris. Entre les deux sources d’information partisane s’interpose des encarts de texte relatant les faits historiques.

Les comédiens sont majoritairement non professionnels, militants associatifs et politiques, artistes et artisans, étudiants, chômeurs, sans papiers et avant tout citoyen, sensés représenter la réalité sociale populaire de Paris des années 2000. Il s’organise au sein même du film et du décor des débats et des assemblées des comédiens sur les questions de l’engagement et de l’organisation sociale en l’an 2000, en écho aux événements historiques la Commune de Paris qu’ils sont en train de jouer.

Point commun à la diversité de ses films, on se surprend toujours à prononcer à haute voix «  mais qu’est ce que je suis entrain de voir ? » Cinéma atypique mais toujours accessible visuellement, cette interrogation spontanée est la victoire de Watkins sur la mono-forme et son contenu aseptisé, convenu et prêt à penser.

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