Pionnière

Date : 7 avril 2018
| Chroniqueur.es : Jean-Benoît Baron
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Le cinéma est une façon de mettre en image nos héros du passé et de retracer leur vécu, souvent romancé, mais attachant également. Au Québec, on aime se rappeler des artistes qui nous ont marqués, entre autres par la chanson, avec des films comme Dédé à travers les brumes ou encore Gerry. Maintenant, c’est au tour de La Bolduc de faire partie de ce palmarès.

Mary Rose Anna Travers, mieux connue sous le nom de La Bolduc, fut la toute première auteure-compositrice-interprète québécoise. C’est une chansonnière qui a connu un succès grandiose et qui est aujourd’hui reconnue comme une de nos légendes musicales. Faire un film d’époque avec le peu de moyens que nous avons au Québec est toujours un défi en soi. Il faut remercier les artisans aux décors et l’équipe derrière les effets spéciaux d’avoir recréé un Québec qui évolue entre les années 20 et 40. Il y a beaucoup de scènes qui se passent dans le décor du marché « Grocery Fradette ». Même si on comprend que ce fut un des lieux qui a inspiré la chansonnière de l’époque, on a parfois l’impression que la production s’est limitée à cet endroit (faute de budget?) et cela laisse croire que c’est le seul magasin du coin.

Le film souffre également de la comparaison avec Louis Cyr. Madame Bolduc, tout comme monsieur Cyr, était une femme forte, bien en chair, qui a passé d’un milieu pauvre à un milieu riche grâce à sa carrière, qui a été absente auprès de ses proches et qui a eu une relation étroite avec une de ses filles, qui tenait à suivre ses pas. La comparaison ne s’arrête pas seulement au niveau du scénario, mais également au niveau des décors, du budget, des effets spéciaux et, à mon humble avis, La Bolduc n’arrive pas à détrôner l’homme le plus fort du monde.

Il y a également des lacunes au niveau du montage. Raconter la vie d’une légende en moins de deux heures est toujours un tour de force. Il faut donc s’attendre à plusieurs sauts dans le temps et voir les personnages évoluer rapidement. Ici, nous avons choisi d’utiliser le fondu au noir comme effet pour marquer le temps qui passe, mais il est surutilisé et aurait bénéficié d’être revu au montage. De plus, l’œuvre de La Bolduc est rigolote et joyeuse, mais ce n’est pas le sentiment que nous avons en voyant le film. Nous avons plutôt l’impression de voir une histoire misérabiliste, et il manque de chaleur à l’ensemble du récit.

En dehors de ces quelques défauts, le film a aussi ses forces, dont ses acteurs. Debbie Lynch-White porte le film sur ses épaules et personne dans le bottin de l’UDA n’aurait fait mieux qu’elle. Elle était toute désignée pour enfiler les souliers de la turluteuse et incarne avec brio non seulement le personnage qu’était La Bolduc, mais également la femme derrière elle qu’était Mary Travers. Le film nous démontre que madame Travers était une féministe sans le savoir, par ses propos, mais également par le fait qu’elle vivait à un certain moment dans sa carrière l’indépendance financière face à son mari, joué avec conviction par Émile Proulx-Cloutier. La montée du féminisme est également présente dans le film avec le personnage joué par Mylène Mackay qui interprète la femme politique très connue pour ses convictions féministes, Thérèse Casgrain. Il y a également la jeune Rose-Marie Perreault, qui joue ici une des filles de Travers, soit Denise Bolduc, qui sera également interpellée par cette vague féministe.

Comme le film est basé sur une artiste musicale avant tout, la trame sonore est également bien chargée. Nous avons le plaisir de découvrir ou bien redécouvrir l’œuvre de cette grande dame, qui interprétait des chansons qui parlaient du quotidien des gens de son époque, l’une des raisons de son succès. Comme avec Sébastien Ricard dans Dédé à travers les brumes, les chansons originales ont été recréées avec la voix de la comédienne qui a le rôle-titre. Ici aussi, un album de musique est né de ce choix artistique. Debbie Lynch-White est remarquable et recrée à la perfection les turlutes et autres maniements d’instruments. Il faut dire qu’elle a passé près de deux ans à s’entraîner pour ce rôle. Il est plaisant d’entendre ces chansons et bien qu’elles sont à des années-lumière de ce qu’on peut entendre aujourd’hui, elles viennent puiser dans nos racines folkloriques, nous donnant le goût de taper du pied et de danser. Grâce aux techniques d’enregistrement évoluées, les chansons recréées sont évidemment de meilleure qualité que les originales et cela permet de les apprécier davantage dans leurs subtilités musicales.

La Bolduc, malgré ses quelques lacunes est un film qui honore notre patrimoine.

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