Québec et ses pauvres

Date : 27 avril 2020
| Chroniqueur.es : Cassandra Boyer
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Ce texte raconte des faits réels et actuels, mais racontés sans aucun souci d’objectivité.

« Les ostis de BS, y profitent du système ! »
Et si c’était le système qui profitait des BS ? Le monde aime pas ça les pauvres, y commettent des crimes, les pauvres. Ça parait bien de faire des politiques censées aider à réduire la pauvreté, nos rues seront plus sécuritaires, enfin ! En plus, pour monsieur madame tout l’monde, ça fait un argument pour justifier que les BS sont des profiteurs, des lâches qui veulent pas s’aider. Avec tous ces programmes payés par les contribuables que le gouvernement met en place, s’ils sont pauvres, ça ne peut qu’être de leur faute !
Faudrait surtout pas qu’ils s’éduquent, les pauvres, parce qu’on va se le dire, une personne pauvre constate tous les jours les failles du système, ç’a en prend juste un qui acquiert assez de connaissance pour gagner une certaine reconnaissance de la société et qui décide de se lever ! Fake, y prennent pas de chances.

Voici l’histoire d’une jeune femme qui, certes, a commis plusieurs erreurs dans le passé mais, qui après avoir survécu à un AVC, est parvenue à fonder une famille. Elle a décidé que ce n’est pas parce que quelqu’un a écrit qu’elle avait des « contraintes sévères à l’emploi » qu’elle devait rester sur le BS toute sa vie. Après tout, il n’était pas écrit « impossibilité de travailler ». Sauf que cette jeune femme avait une petite fille et ne voulait pas prendre le risque qu’elle manque de quoi que ce soit si elle entamait un retour aux études. C’est pourquoi, avant de s’inscrire en Techniques de travail social, elle a décidé de s’informer au Centre local d’emploi de sa région ce dont il adviendrait de ses prestations dans le cas d’un retour aux études. On lui assura qu’il y avait des programmes pour les gens en situation de handicap. Cette jeune fille tout d’un coup pleine d’espoir, c’était moi.

C’ÉTAIT, car le 23 janvier, une lettre de l’Aide sociale m’attendait m’accusant d’avoir omis de déclarer des changements et que c’était illégal. Donc, que je n’ai plus le droit à l’Aide sociale étant aux études post-secondaires. Pourtant, ils savent que j’avais été acceptée, j’y ai été même allée en personne tellement je craignais que ça arrive. Parce que malgré mes troubles neurologiques, on ne m’a pas accompagné plus qu’il ne le faut dans ma démarche de retour aux études, il me fallait être accepté aux prêts et bourses, ce qui s’avérera plus difficile que prévu. Mais bon, l’Aide sociale avait un si beau programme pour les personnes avec contraintes sévères à l’emploi, je me suis permis de commencer l’école. Ma motivation première étant d’habiter à un endroit propice à l’apprentissage de ma fille, je devais commencer l’école le plus tôt possible. J’ai terminé ma première session, sans encombre. Je commençais à retrouver espoir. Puis, on me place dans cette situation pas possible.

Je suis très préoccupée et pas seulement individuellement. Déjà, lorsque j’ai appris qu’il y avait de si « beaux » programmes accessibles seulement pour les personnes handicapées, j’ai été outrée ! Après, on ose responsabiliser les bénéficiaires de l’Aide sociale, avez-vous seulement essayé de vous imaginer par où ces gens sont peut-être passés ? Ce qu’ils vivent au quotidien ? Je trouve particulièrement inquiétant que notre province soit gouvernée de façon si impulsive en ce sens, où on prend des décisions en ne pensant qu’au moment présent, ce qui crée ce contexte où les inégalités ne cessent de s’accroître. Je ne suis pas économiste, mais ce n’est pas nécessaire pour déduire qu’un individu sur le marché du travail est plus rentable qu’un individu sur l’aide sociale, et de payer 4 ans d’études à quelqu’un est loin d’équivaloir ce qui en coûtera de lui payer l’aide sociale pour les décennies à venir.

Enfin je vois la lumière au bout du tunnel. J’ai enfin espoir de pouvoir gagner la bataille. Mais ce qui est arrivé, c’est parce que le système est fait de façon à protéger les plus fortunés. Moi, je pourrai payer mon loyer en mars, mais combien d’autres devront vivre cette situation stressante avant que les choses ne changent. Généralement, je chiale contre les injustices au moment où elles arrivent et, j’en reviens. Parce que j’étais comme beaucoup d’entre vous. Je me disais « qu’on est tu pas ben icitte ! ». Tsé, on est libre de s’exprimer, on a des droits. En comparaison avec ailleurs, on est ben. De me plaindre me semblait ingrate. Surtout étant prestataire de l’Aide sociale. Je préférais me taire. Je sais que je représente exactement ce que notre société aime haïr. Mais, cette fois, j’ai vraiment eu peur. Je dirais que de toute ma vie, rien ne m’a poussé à me battre de façon aussi intensive. Je ne suis pas un cas isolé, loin de là. Malheureusement, ce n’est pas tout le monde qui a accès aux mêmes ressources que moi, qui parviendrait à se relever. Ce n’est pas que je suis plus résiliente qu’un autre, c’est que dans ma malchance, j’ai été « chanceuse ».

J’ai cette « chance » d’être hémiplégique, je suis ce qu’on appelle un bon BS. C’est pourquoi je me risque à être la voix de cette population d’opprimés. Il aurait été plus facile de juste me réjouir qu’on me donne cette « chance » de me sortir de cette situation inconfortable et de ne pas penser aux potentielles victimes. Ce qui m’a poussé à me battre, c’est l’instinct de survie. Ce qui me motive à continuer de me battre, c’est pour qu’on comprenne que les BS, avec diagnostic médical ou non, sont humains, ils méritent des conditions de vie adéquates et d’avoir cet espoir de pouvoir s’en sortir. C’est simple, comme moi, comme vous, ils méritent le respect. En les responsabilisant, on n’aide personne. Ce n’est pas vrai que BS rime avec lâcheté, au contraire, ça rime avec laisse. Laisse comme dans laisse faire, comme dans on te laisse pas t’en sortir. Mais aussi comme, je te tiens au bout d’une laisse, je contrôle. J’ai fini de me taire. C’est exactement ce qu’ils veulent, mais là, ils sont allés trop loin. En me mettant dans cette position de vulnérabilité on m’a donné la force, la volonté de dénoncer cette marginalisation des prestataires d’Aide sociale causée par nul autre que l’État.

D’ailleurs, je lui ai écrit, à François. Je lui ai écrit pour lui expliquer gentiment les incohérences de cette situation, et j’ai terminé en nommant ma préoccupation tant qu’à la façon dont notre « belle » province est gouvernée. Bien sûr, notre très cher Premier Ministre ne répond pas lui-même, mais la dame qui m’a appelé était super. Elle me dit qu’elle est pressée, mais qu’elle partait en formation le jeudi et voulait absolument me parler avant. Elle vérifiera mon texte de révision de dossier et qu’elle surveillerait de près mon dossier, de rappelait si j’étais refusée. Et, comme par hasard, ma demande de prêts et bourses a été acceptée en l’espace de 24 heures, peut-être que j’ai été chanceuse. Mais, cette histoire m’a rendue trop méfiante, mais j’ai plutôt l’impression qu’on sait dit, fuck, une pauvre qui s’indigne pis qui s’exprime bien, faite la taire.

Connaissez-vous la phrase de Johann Wolfgang von Goethe : « Nul n’est plus esclave que celui qui se croit libre sans l’être » ? Et bien ça représente exactement notre société. Oui, on a une charte des droits et libertés, mais elle nous sert plus à nous consoler que malgré les injustices auxquelles nous faisons face, on est ben icitte. C’est un peu comme si on n’avait pas mangé depuis 3 jours, qu’on nous mettait notre plat préféré sous le nez et qu’on se contentait de le sentir seulement. Personne ne ferait ça. Parce que ce serait ridicule! Et pourtant…

Nous sommes tous esclaves de la société car en instaurant des programmes et politiques sociales supposément dans le but de protéger et d’assurer une certaine qualité de vie à tous, l’État s’assure de nous faire taire. Et ça marche. Mais, je constate toutes les subtilités qui semblent être créées dans le but de maintenir les inégalités, de faire taire les opprimés. Non seulement m’ont-ils coupé, mais on me réclame, 3427$ également. À chaque fois où j’appelais en pleurant puisque je n’avais plus aucun espoir, on me posait la même question : “Mais pourquoi t’es allée à l’école ?” Il me semble que c’est évident, je veux une meilleure vie pour moi et ma famille. Lorsque je pleurais, littéralement de désespoir, on m’a même conseillé de lâcher l’école et, qu’après, j’aurais de nouveau droit à l’Aide sociale ! C’est pas mêlant !? J’ai passé des jours à pleurer, je croyais être condamnée à rester sur l’Aide sociale pour le reste de mes jours. Ce qui m’a fait changer d’idée et qui m’a poussé à retourner à l’école, c’est ma colère. J’ai voulu leur prouver que je n’étais pas l’individu stupide et manipulable qu’ils s’imaginent que tous les prestataires d’Aide sociale sont. Et, c’est là que l’instinct de survie embarque. Je devais pouvoir subvenir aux besoins de ma famille. J’ai eu l’impression de détruire toute leur vie.

Et je tiens à rappeler que je suis considérée comme étant un bon BS. Pourtant, c’est à croire que je n’interagissais même pas avec des humains. Comme si notre vie pouvait être sacrifiée pour être sûr que l’État n’ait pas trop à débourser pour le peuple. Maintenant, il faut sensibiliser la population aux incohérences de leur très cher système.

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