Socialisons face au coût de la vie

Date : 4 mai 2022
| Chroniqueur.es : Guillaume Manningham
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L’eau c’est la vie. Le corps humain est composé en moyenne d’environ 65% d’eau. Depuis décembre 2020, les titres de l’eau sur le marché californien s’échangent dorénavant à la Bourse de Chicago et au NASDAQ. Un article publié le 23 avril 2021 dans le Devoir avait un titre évocateur du monde dans lequel on vit : « Toujours plus rare, l’eau cartonne à la bourse ». Les principales denrées alimentaires, notamment les grains, s’échangent à la même Bourse de Chicago. Leur valeur ne réside donc pas dans l’usage que les grains peuvent nourrir des gens, mais bien à leur valeur d’échange qui ne connaît pas de limites. Et toutes les spéculations sont permises pour les produits dérivés dans la valeur future des titres.

Ces derniers mois, avec les catastrophes climatiques affectant les récoltes, la hausse des coûts de l’énergie et des engrais et la guerre en Ukraine, on assiste à une hausse importante des prix des aliments de 6,7% au Canada (12,3% pour les céréales), plus élevée que l’inflation générale de 6,7%. Si pour la majorité des gens cela signifie l’absence de choix ou des choix déchirants chaque mois, pour une petite minorité cela signifie tirer un important profit avec les titres alimentaires. Rendre la distribution de l’eau socialisée tout comme la distribution d’aliments pourrait nous permettre d’amortir les chocs. Ne pas viser des profits comme les grandes bannières qui sont loin du simple commerce, mais bien dans une situation d’oligopoles (Loblaw’s, Costco, Walmart, Metro, Sobey’s). La Via Campesina est une organisation présente dans 80 pays réunissant plus de 200 millions de paysans et paysannes. Elle avance comme solution répondant à la fois aux gens qui travaillent la terre, aux gens qui consomment les aliments et aux écosystèmes de « mettre en œuvre une réforme agraire démocratique et étendue qui permette aux peuples d’avoir la souveraineté sur leurs ressources naturelles et sur leur alimentation, tant au niveau de la production que de la distribution. »1 Nous devrions sérieusement songer à élargir nos horizons face au coût de la vie galopant et à l’environnement qui se dégrade et se réchauffe à vitesse cataclysmique.  

Un autre aspect de la vie qui est marchandisée à un point extrême est celui du logement locatif. Les salaires et les revenus ne suivent pas et les gens qui hier avaient de la misère à payer le loyer se retrouvent carrément dans l’instabilité résidentielle, voire à la rue. Pas besoin de vous dire qu’en parallèle une minorité en profite et se remplit les poches. Mais également que c’est le secteur financier qui est de plus en plus partie prenante du marché locatif pour exiger une rente à valeur ajoutée rapide et importante de ses actifs. « On voit bien qu’historiquement, le droit de propriété a toujours eu préséance sur le droit au logement. S’il existe quelque chose que l’on appelle «droit au logement» aujourd’hui, c’est parce qu’il a été obtenu. Ce sont des batailles politiques qui doivent être relancées périodiquement. »2   Pourquoi pas se battre pour un projet de société afin que le parc de logement locatif soit socialisé (HLM, Coops, OSBL)? Comme la santé et l’éducation, le logement n’est pas condamné à être une marchandise et ce sont nos luttes qui en détermineront la réalité pour résoudre la crise de la reproduction sociale.3 À Berlin c’est à l’ordre du jour après un référendum municipal mené après des années de luttes et une hausse marquée des prix des loyers. 

Prendre soin des humains, de l’enfance à la vieillesse, et prendre soin de nos écosystèmes exigent que nous puissions transformer en profondeur, à la racine, sur quoi repose notre mode de vie. Et pour cela, nous pouvons choisir de socialiser le secteur financier, bancaire et des assurances sans quoi nous serons très limités dans nos capacités. On ne transforme pas, ou très peu, ce que l’on ne contrôle pas. Les cinq plus grandes banques canadiennes ont réalisé près de 61 milliards de bénéfice net en 2021. Mais plus encore, entre 2016 et 2021, les six plus grandes banques canadiennes ont augmenté de 30% leurs investissements dans les énergies fossiles, soit près de 700 milliards de dollars! Sans parler des minières canadiennes aussi bien financées ici comme ailleurs. Nous vivons dans une marchandisation du monde inégalée dans l’histoire. Pourtant, devant l’échec de la viabilité de ces rapports sociaux, nous nous permettons peu d’élargir nos droits démocratiques par la socialisation de secteurs clés et importants. Et si nous osions la mention échec de ce système pour rapidement décider de faire autrement. De pouvoir annuler les dettes illégitimes des pays du Sud global, de décoloniser avec réparations sur les territoires non cédés des Premiers Peuples, désinvestir pour réinvestir ailleurs dans une vision à long terme. Socialisons pour pouvoir bien vivre comme du monde.


1 « Déclaration politique de La Via Campesina : 30 ans de luttes collectives, d’espoir et de solidarité », 15 avril 2022

2 « Pour que le logement soit un droit », Aurélie Lanctôt, Entretien avec Véronique Laflamme et Louis Gaudreau, revue Liberté, automne 2021.  

3 « La crise de la reproduction sociale », Silvia Federici et Mariarosa Dalla Costa (entretiens avec Louise Toupin), Éditions du remue-ménage, 2020

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