Grâces

Date : 21 mars 2024
| Chroniqueur.es : Nicolas Beaudoin
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Crédit image : Nicolas Beaudoin

Comme toutes ces choses où coulent les habitudes qui tissent la toile de mon quotidien, je ne le remarque plus. Serti dans mes matins, il brille ce soir, reflet doré d’un premier amour dans l’indolence de longues matinées à manger des crêpes, dans un sous-sol que visitaient les rats et où nous ne manquions de rien. Mon vieux toaster fredonne la douceur de ce temps-là.

Tu sais, c’était accueillant cet espace qu’il y avait dans ton silence. Tu aurais voulu, à l’époque, être différente, être à ton aise sous le soleil de midi. Tu te montrais par tranches, dans une lumière tamisée, invitant à un lieu où ce serait plus calme, d’où nous pourrions chuchoter. Depuis longtemps déjà, je te croise à cette frontière dans la nuit. La mienne se termine quand débute la tienne. Chaque fois, quand tu t’approches de moi, quand tu me parles juste un peu, c’est comme si tu me prenais par la main.

Elle s’est faite minuscule pour s’inviter dans les banquets des fées. Dans le détail des branches, dans la dentelle des ramilles elle glane en chantant, perchée sur le point de l’instant. Elle se sait regardée et pourtant elle ne me fuira pas. J’essaie de lui parler dans son langage. Son esprit amical sautille et me répond en sifflant. Depuis toujours, la mésange me salue. Elle aura inventé la cordialité.

La semaine dernière, quand tu m’as vu, tu m’as salué en me touchant le bras. Ton  » Comment vas-tu ? «  était gros de ta sollicitude. Tout était dit. Cela m’a rappelé ma fête, la tendresse qui nous enveloppait. Tu étais revenu chez moi pour veiller encore. Je me suis aussi souvenu de Tadoussac, lorsqu’un loup blanc nous avait frôlés dans la clarté lunaire. Je veillais ton esprit d’argent endormi tandis que le mien s’enroulait dans ta respiration. Les braises craquaient comme un cristal dans la nuit incandescente.

Il y avait un jour ce chien d’une amie qui au bout d’une soirée, quand tout le monde était allé se coucher, s’était assis à mes côtés pour pleurer avec moi.

Tu m’appelles et tu m’invites toujours, malgré mon éloignement et bien que je t’aie blessé parfois. Tu veilles, toi aussi.

Et toi, à quoi pensais-tu quand tu me regardas après un cours, assez longuement pour que je le remarque ?  Tu avais bien vu… Que me disais-tu alors ?  Sais-tu le bien que tu m’as fait ce jour-là ?

Il arrive régulièrement que des automobilistes me klaxonnent en guise de salutation. C’est votre amitié qui me fait des clins d’œil.

 » Ça fait longtemps que je ne t’ai pas vu débarquer dans notre solarium» . Si tu savais… Cet hiver dans la neige, j’ai parfois marché devant votre maison. Il y avait de la lumière, j’avais le goût d’aller me blottir dans l’amour qu’il y avait là.

Tu avais résumé en trois mots la lettre que j’écrivais en réponse à ta question : la solitude, la forêt et la marche. Tu avais tout compris.  » Tu câlines de mille manières. Avec tes yeux tes mots tes regards ta présence» , avais-tu écrit.

Et toi encore, qui m’avais proposé une rencontre pour un  » service» . J’ai bien compris qu’il y avait aussi le désir d’une forme de réconciliation, une invitation à revenir parmi vous, en ce lieu où j’ai tant aimé que mon cœur est en ruine.

Il est beau le pays de votre amitié. Où irais-je ailleurs sinon pour revenir à vous ?

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