Soyons réalistes : l’auto en ville est une nuisance et réduit notre liberté

Date : 12 septembre 2023
| Chroniqueur.es : Nicolas Beaudoin
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À la sortie récente de Pierre Fiztgibon, ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, qui, dans un éclair de lucidité, affirmait qu’il faudrait réduire de moitié l’usage de l’automobile pour atteindre nos objectifs climatiques, le premier ministre Legault répondait qu’il faut être réaliste et miser plutôt sur l’auto électrique et la bonification du transport en commun en ville. 

Son ministre le suivait de près, lui qui affirmait : « Les gens vont faire ce qu’ils veulent. Jamais le gouvernement ne va imposer combien de voitures [ils vont pouvoir posséder]. Si tu en veux trois, tu vas en avoir trois. » 

Les arguments évoqués pour défendre l’auto sont généralement de deux ordres : son usage maximiserait la liberté individuelle et comporterait plusieurs bienfaits. L’auto, pense-t-on, permet de gagner en autonomie et en temps de transport, elle est facile d’utilisation, elle est confortable, son usage est indépendant des conditions climatiques, elle permet de surmonter les limitations dues à l’âge ou aux handicaps, et son coût est somme toute avantageux quand on considère les alternatives. Je me propose dans cet article de déconstruire ces arguments, en m’appuyant en grande partie sur Cul-de-sac. L’impasse de la voiture en milieu urbain (Héliotrope, 2007), de Blanchard et Nadeau.

Certes, l’auto comporte des avantages, surtout dans des milieux ruraux peu densément peuplés. Cela dit, l’auto en ville présente en elle-même peu d’avantages, et ses bienfaits viennent souvent du fait que les solutions alternatives dans nos villes et nos banlieues sont absentes ou insuffisantes. Plus le transport en commun est développé — et plus la ville est dense et structurée de manière à assurer la mixité des usages (résidentiel, commercial et industriel), moins l’usage de l’auto y est répandu. À Montréal, le taux de motorisation est de 363 par 1000 habitants, tandis qu’il est de 635 et de 643 dans les banlieues sud et nord respectivement, selon des données de 2019. Pour tout le Québec, il y avait, en 2021, 580 autos pour mille habitants, chiffre en progression constante. 

L’usage généralisé de l’auto traduit donc un manque de liberté, ce qui force les individus à utiliser l’auto pour répondre à leurs divers besoins. 

Venons-en maintenant aux méfaits de l’auto. L’auto vient avec son lot impressionnant d’accidents. Pour 2022, 28 323 personnes blessées au Québec, auxquelles il faut ajouter 392 personnes mortes. Aux États-Unis, la mortalité causée par les accidents de voiture représenterait le double des victimes de toutes les guerres de l’histoire américaine (Kathie Alvord). À ces maux, il faut ajouter la pollution, le stress et le bruit, la laideur urbaine, l’incivilité ainsi que les coûts sociaux et personnels. 

Selon l’évaluation d’un citoyen allemand, en tenant compte de tous les frais reliés à la possession d’un véhicule, il en coûterait environ 11 240 $ CAN par année en Allemagne pour financer une Volkswagen Golf. Ce montant représente environ 40 % du revenu net d’un petit salarié, qui travaillerait donc près de cinq mois par année pour financer son véhicule. À ce montant, on doit ajouter environ 6860 $ CAN/an en coûts sociaux (routes, stationnements, entretien, etc.).

Si l’on tient compte du fait qu’une auto « dort » dans un stationnement 95 % du temps, on constate aisément que ce mode de transport est non seulement nuisible, mais également inefficace relativement aux nombreuses nuisances et coûts qu’il suppose. Dans leur essai, Blanchard et Nadeau partent du principe que l’intervention de l’État est justifiée lorsqu’il s’agit d’empêcher des nuisances qui provoquent un dommage moral à autrui. Ils en concluent que l’État a l’obligation morale d’intervenir pour corriger les préjudices contre notre autonomie et contre notre bien-être causés par l’auto. Ce sont là des dommages moraux au sens où, contrairement à un accident fortuit dont nul n’est responsable — par exemple un arbre qui blesse quelqu’un à la suite d’un orage — dans le cas de l’auto, nous pouvons identifier des responsables : nous tous en tant qu’automobilistes et la société en tant qu’elle met en place un système qui pousse les individus à choisir l’auto. 

De la même manière que l’État est intervenu pour limiter l’usage du tabac dans les lieux publics, il devrait donc intervenir également pour réduire l’emprise de l’auto dans l’espace public, en structurant la ville et les transports de manière à réduire les nuisances causées par l’auto et pour offrir la liberté de choisir d’autres modes de transport. Certes, cela exige du temps et des investissements, comme d’ailleurs le système automobile dans lequel nous vivons et que nous prenons pour la normalité, système qui s’est construit sur des décennies en détruisant des quartiers, en démantelant des réseaux de tramways et en finançant à coups de milliards le réseau routier et autoroutier. 

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